mercredi 24 septembre 2014

Derrière les murs

 Un jour ordinaire, comme tous les jours. J'ouvre le robinet et mouille d'un filet d'eau les poils courbés par l'usage de ma brosse à dents. J'écrase le fond du tube de dentifrice pour faire sortir péniblement un peu de la pâte blanche et bleue et l'étale grossièrement sur la tête de la brosse puis enfourne celle-ci dans ma bouche. Les allers-retours des poils crissent sur mes molaires, mes canines, mes incisives.

Machinalement, mon regard encore embrumé du réveil difficile se porte dans le miroir, sur le reflet de la trappe de ventilation à demi-ouverte derrière moi, plus haut que ma tête. Cela fait longtemps déjà que le panneau la clôturant s'est décroché et est tombé derrière le placoplâtre, ne bouchant plus que partiellement son embrasure.

Les précédents propriétaires, lors de la rénovation de cette maison de deux étages, avaient sous-estimé leur budget et avait donc rogné autant que possible sur la qualité de leurs travaux. Cette trappe ne tenait donc - et bien mal encore - que par quatre petits aimants du type fermeture de porte de placard, bien insuffisant pour le poids d'un panneau de fibres de bois un peu mou. Chaque fois que j'ouvrais un peu vite la porte de la salle de bains, l'appel d'air suffisait à décrocher la planche dans un clac suivi d'un boum. Un de ces quatre, le panneau finirait par faire un trou dans le plafond, aussi n'y avais-je plus touché. La trappe restait donc ouverte en permanence.

Aujourd'hui, un courant d'air léger mais glacial glisse sur les épaules nues et mon dos, encore humides de la douche matinale. Dehors, le ciel obscur rappelle que l'hiver vient. Difficile de se réveiller, et je cesse un instant mon brossage pour frotter mes yeux lourds de sommeil d'une main un peu pataude. Je reprends le mouvement, inclinant la brosse pour attaquer la face extérieure de mes dents, avant de reporter négligemment mon regard vers ce coin un peu sombre sous la trappe.

Mon bras se fige. Une ombre vague se détache sur le blanc de la peinture, près d'un coin, pas loin de l'embrasure à demi fermée, une ombre floue - je suis myope et n'ai pas encore posé mes lunettes sur le nez - dont la forme arrondie ne devrait pas être là. Je plisse les yeux, tenant vainement de rendre la tache plus nette : rien à faire, il me faut mes lunettes.

Mon brossage s'achève rapidement, et je crache dans le lavabo le dentifrice mêlé de ma salive et du sang de mes gencives. Je me rince la bouche, surveillant cette chose imprécise dans le reflet du miroir. Et puis, elle bouge, et je stoppe net tout mouvement, l'eau dégoulinant de ma bouche, comme un bébé qui bave. L'eau me dégouline sur le menton, le cou, entre les seins, me faisant frissonner.

Elle rampe, cette ombre. Je ne distingue pas grand chose, maudite myopie ! mais le sombre se déplace doucement sur le clair du mur. Je tends l'oreille, osant à peine respirer ; et croit entendre un délicat cliquetis issu de la créature. Si ça bouge, ça vit, non ? Elle se rapproche. J'hésite : après tout, peut-être n'est-ce...

Elle saute.

D'un bon, je me suis mise hors de portée, puis j'ai couru à ma chambre, manquant marcher sur mes chats qui attendent tous les matins avec impatience ma sortie pour me souhaiter le bonjour à leur manière. Je jure de douleur en me tordant un doigt tandis que je m'empare de mes lunettes et les jette sur mon nez. Je les ajuste sur mes oreilles en me retournant et voit mes chats pénétrer dans la pièce que je viens de quitter et disparaître derrière la porte.

Un peu rassurée mais l'adrénaline fouettant encore mes artères, je retourne moi aussi vers la salle de bains, lorsqu'un de mes chats pousse un étrange petit miaulement et s'enfuit à toutes pattes, suivi de près par les autres. Mon cœur bat dans ma poitrine, et je me fige sur le seuil.

J'entends à nouveau ce discret cliquetis ; il vient du sol ; la chose a donc bien quitté le mur pour descendre ; qu'a-t-elle fait à mon chat ? La lumière est toujours allumée, la porte contre le mur, la créature doit se trouver par là. Je recule d'un pas et guette, le palpitant cognant entre mes côtes puis qui s'arrête lorsqu'une ombre aussi grosse que ma main passe sous la porte...


Une tégénaire. Une stupide, idiote, imbécile de tégénaire. Grosse araignée marron, aux longues pattes fines, aux crochets bien visibles, qui a peut-être pincé mon chat chouineur pour se défendre d'un mâchouillis félin mais mortel, qui a dû passer par la ventilation puis par la trappe entrouverte... Je vais chercher le tupperware qui me sert à attraper les indésirables, capture l'intruse arachnoïde et la jette dehors.

Non mais !