jeudi 11 février 2016

L'âme enfermée (1) : Macabre découverte

 I

Nous nous apprêtons à monter la colline. Curieux amas de roches plates comme des galets, aux bords adoucis par le temps, et recouvert de terre, de mousse, de plantes, même d'arbustes. Un sentier quelque peu zigzaguant monte sur la pente la plus douce, permettant aux touristes de tout âge d'accéder au sommet. Il fait un temps superbe, le soleil commence à chauffer, mais pas trop, mes parents avancent vers le sommet et mon frère lassé de leur lenteur s'y trouve déjà.

Je sais déjà que là-haut, la vue sur les alentours sera magnifique : maisons couronnées de toitures aux bords relevés, couleurs sombres et couleurs claires harmonieusement réparties des bois et des papiers de riz, beaucoup de plantes vertes, et un joli bois touffu tout autour de la colline. J'ai quatorze ans, et c'est la troisième fois déjà que ma famille visite ce lieu bien loin de notre pays.

En chemin, près du sommet, je m'attarde comme à chaque fois vers la droite, où un ruisseau prend sa source entre trois galets géants et dévale le flanc dans un doux clapotis, sinuant entre les arbustes aux allures de bouleaux, tronc blanc et délicates petites feuilles d'un vert tendre et printanier.

J'ai chaque fois envie de le suivre, et à peine mon esprit d'exploratrice me fait-il faire deux ou trois pas hors du sentier que mes parents m'appellent : "Ne t'éloigne pas trop ! On y est presque !"

Je ne les écoute guère et rejette leurs mots d'un geste agacé de la main. Je m'approche de la source, la contemple d'un peu trop loin à mon goût, mais mes parents insistent : je fais demi-tour pour regagner le chemin.

— "Sauve-moi !" m'interpelle un soupir de jeune fille.

Je me fige, interloquée. Derechef :

— "Sauve-moi, je t'en prie !"

Appel angoissé, tout juste audible, il vient du ruisselet. Je sors pour de bon du sentier et me précipite vers la source, l'appel retentit à nouveau, plus fort : c'est une jeune fille, mon âge peut-être, au jugé. Je grimpe les roches, je me penche sur la source :

— "Je t'en prie, sauve-moi, je suis coincée !" s'écrie l'inconnue, et son appel vient de l'embrasure des trois roches... Mais c'est impossible, comment pourrait-elle être coincée là-dedans ? Seul un enfant eut pu s'y glisser, et non sans risquer de s'étouffer dans l’eau ! J'appelle, timidement :

— "Il y a quelqu'un ?" ...

Que la brise légère dans les feuilles, le ruissellement de l'eau. J'hésite, une enfant du pays m'a-t-elle fait une farce, à moi, touriste ? J'écoute encore, rien.

Alors, je fais à nouveau demi-tour, d'autant plus que mes parents me crient de revenir : l'évidence, ils s'énervent. C'est vrai, si je glissais et tombais, hein... Ce serait gênant. Je jette cependant un dernier regard par dessus mon épaule, et je vois l'eau... changer de couleur et de... consistance ? ... On dirait du sirop d'ambre rouge !

— "Je t'en supplie, sauve-moi, je vais mourir étouffée !" me hurle soudain la voix.

Panique. Je cours et trébuche jusqu'au chemin, j'appelle au secours, à l'aide, j'ameute les touristes et les gardiens du site, et lorsqu'on s'attroupe autour de moi, je me retourne vers le ruisseau, et reste un instant sans voix : l'eau est redevenue limpide et liquide, de l'eau, quoi. Malgré tout, je tends le doigt vers elle et raconte avoir entendu une fille crier à l'aide, qu'elle est coincée dans la source...

Certains se moquent, la probabilité est si faible ! Mais juste alors j'entends une fois encore la jeune fille et certains membres de mon public s'exclament : "Je l'entends, moi aussi ! Moi aussi, sauvons-là ! Oh, pauvre fillette, faisons vite !"

Branle-bas de combat, les gardiens ameutent la police et les pompiers, que j'amène, légèrement tremblante, jusqu'à la source : "C'est là !" Impossible, bien sûr, que quiconque puisse entrer là ; une lampe puissante est braquée sur la sombre embrasure, on entend un remue-ménage et deux reflets sur de petits yeux. Elle est là ?! Mais comment la sortir ?

C'est un haut lieu touristique, on ne peut l'abîmer. Heureusement, cette structure de sol en galette facilite les choses : on fait venir de quoi soulever les roches qui ne sont pas solidaires autrement que de par la gravité, sous les flashes des photographes et les caméras du journal local, qui faisait justement un petit reportage ce jour-là dans les environs. Je me tiens aux premières loges avec les autres ayant entendu la jeune fille lorsque les roches du coin sont précautionneusement soulevées et déposée plus loin, une par une.

Enfin, la dernière, on s'écrie : "Tiens bon, tu vas sortir de là, tu es sauvée !" et tout le monde retient son souffle. La roche s'élève, la lumière pénètre dans la minuscule grotte que l'on découvre et que l'eau de la source traverse de part en part ; un rat ou un quelconque petit animal, jusqu'à présent réfugié au fin fond de son humide et rocheux terrier détale à toutes pattes, terrorisé par cette toute cette agitation ; le sol est tapissé de feuilles mortes qu'il avait amené là pour rendre son antre plus douillet, de graines et de glands, et... d'os... Un fémur, une côte là, et là le bras et aussi le crâne ! Un squelette d'adolescent, à peine dérangé par l'animal et ses prédécesseurs...

A mon oreille résonne un nouveau soupir : "Merci ! ..."

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