lundi 31 décembre 2012

Mina

La Pipelette du Forum - Édition Halloween 2005 (Sims 2 PC)
 

J'avais rencontré Mina une nuit de pleine lune, dans un coin désert du parc. Jamais je n'avais connu une fille comme elle. J'avais toujours été attiré par des filles un peu étranges, mais elle était de toutes la plus exquise.

Elle avait une passion pour le bleu. Un bleu froid dont elle avait coloré ses lèvres, teints ses cheveux, tatoué son front. Ses yeux étaient, je crois, les plus incroyables que j'ai vu de ma vie. Bleus de glace, cerclés de noir. Il mettait en valeur son visage de pure porcelaine.

J'ai succombé à son charme dès que je l'ai vue. Et à mon grand bonheur, cette fille à l'air farouche n'hésita pas à lancer la conversation. En quelques heures à peine, nous savions tout l'un de l'autre. Enfin, à ce que je croyais...

Nuit après nuit, nous nous retrouvions au parc. Un mois plus tard, nous échangions notre premier baiser. J'aimais Mina du plus profond de mon être, je ne pensais qu'à elle, je ne vivais que pour elle ; elle emplissait toute mon âme et lorsqu'elle me regardait, un bonheur intense m'étreignait, me laissant tremblant.

Quelques nuits après, j'osais la serrer dans mes bras en espérant faire plus que quelques baisers. Je ne pris pas garde à la pleine lune, pas plus que lors de notre première rencontre.

Je savais seulement que je la désirais très fort, presque à en avoir mal, et qu'elle était là, lumineuse, belle et glacée. La lune était dans ses yeux.

Elle se rejeta violemment en arrière et sous mes yeux, elle "changea". Ses yeux semblèrent s'emplir de sang, et je vis ses canines s'allonger démesurément ; elle cracha comme un chat, les doigts crochus, et se jeta sur moi.

Elle me mordit ! J'ai senti comme dans un cauchemar ses canines s'enfoncer profondément dans ma chair. Elle me serrait contre elle comme un chien s'acharne sur sa proie, dents dans la gorge, grognements d'effort et de rage...

A peine me relâcha-t-elle que je me sentis "changer" à mon tour : mes doigts se raidirent brusquement, et mes canines prirent soudain une place plus grande dans ma bouche. Le vent de la nuit se fit plus âpre sur ma peau, les odeurs et les sons s'affinèrent...

La nuit devint claire.


Étant enfant, ma grand-mère m'a toujours dit que j'étais béni des dieux. Comment savait-elle ?

Je goûtais la douceur de la nuit lorsqu'une petite étoile vint se poser sur mon coeur. Sans vraiment m'en rendre compte, je m'aperçus que Mina regardait l'étoile avec une horreur grandissante dans ses yeux de sang.

Puis tout explosa. L'étoile devint lueur, la lueur devint halo éblouissant, le halo une lumière fatale. Mina poussa un hurlement atroce et je redevins humain.

J'attrapai une Mina abasourdie par les épaules, et m'apprêtai à lui demander... Lui demander quoi ? Pour quelle raison elle m'avait caché cela ? Je pouvais le deviner. Pourquoi elle m'avait mordu ? Facile à comprendre !

Nous passâmes malgré cela le reste de la nuit ensemble. Je voulais savoir comment elle était devenue un vampire. Quel effet avait la pleine lune sur sa transformation ? Elle me raconta enfin toute son histoire.

Elle me fit promettre de n'en rien dire à personne. Qui m'eut cru, après tout ? Elle ne savait plus quelle attitude adopter envers moi. Elle m'aimait aussi, et désirait seulement rester avec moi, malgré sa différence, son sang froid contre mon sang chaud...

Ensemble, nous oubliâmes le temps.

Et ce fut l'aube, brusque, un soleil brûlant qui se leva d'un seul coup. Jamais nous n'étions restés ensemble si tard, ou plutôt si tôt. Juste au moment où je lui jurais mon amour, elle se mit à fumer et à hurler "Le soleil ! Le soleil ! Il me brûle !" sans cesse et sans cesse.

En quelques minutes, Mina devint poussière et disparut.


Je vais souvent sur sa tombe, située dans un cimetière proche. Régulièrement, je pose un bouquet de roses en souvenir de notre amour défunt.

Mon coeur saigne comme jamais, et pourtant je vit. Je vivais pour savoir que nous avions vécu comme dans un rêve, sans nous rendre compte du temps qui passait... D'une certaine façon, j'étais responsable de sa mort atroce.

Si nous pleurons à la mort d'un être cher, ce n'est pas parce qu'il est mort. C'est parce que nous, nous vivons encore et que ça nous fait souffrir.

Je pense à toi, Mina. Je ne t'oublierais jamais.


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Cette histoire a été créée à partir du jeu Les Sims 2, version PC, pour un journal nommé La Pipelette du Forum, dont j'ai été co-fondatrice et co-rédactrice, et proposé aux personnes inscrites sur le forum du jeu dans un sujet dédié. L'image de couverture est tirée d'une série d'images prises dans la partie que j'ai créée/jouée exprès pour ce faire.

dimanche 30 décembre 2012

La jeune salamandre

La jeune salamandre
Aperçoit une mangue.
Elle tire la langue,
Laisse sa queue pendre ;
Elle vacille, tangue,
En vain : elle ne peut la prendre.

La salamandre d’or
Eclaboussée d’émeraude,
D’effort toute chaude
S’abandonne, détend son corps ;
Puis s’en va, penaude,
Et la mangue rit bien fort.

Photo par Patrick Coin - Travail personnel, CC BY-SA 2.5,


Elspeth (11)

Je compris pourquoi ma mère et mes « tontons » aimaient tant la scène. C'est incroyable. Il se dégage une énergie si grisante, si énorme que vous n'existez plus. Vous êtes porté par le flot, irrésistiblement, et vous n'êtes plus que le vecteur par lequel la musique est. Vous n'êtes plus que musique...

Il me fallut des heures pour atterrir après le concert. Émotionnellement et physiquement j'étais épuisée – j'avais pas mal bougé et il était très tard – mais l'énergie résiduelle du concert me portait encore. Ç'avait été une vraie réussite, et j'étais fière de voir que j'avais honorablement tenu ma place. Certes, j'avais fait quelques fausses notes, mais elles étaient passées inaperçues et j'avais bien joué dans l'ensemble.

Le véritable debriefing n'eut lieu que le surlendemain – le temps que je me remette, car je dormis durant une journée quasi-complète ! C'est là que j'eus droit aux remarques sur mon jeu de basse, les erreurs que j'avais commises, les bons passages... Et puis la vie reprit son train-train habituel : les cours, les yeux de Yannick, les entraînements musicaux avec ma mère et mes « tontons », le corps de Yannick...

Oups ! Je m'aperçois que j'en dit trop ! Car après ce baiser qu'il me donna, les choses avaient un peu changé entre Yannick et moi. Nous avions près de seize ans désormais, nous étions ensemble depuis plus d'un an et très amoureux... La Nature réclama ses droits. Si le début nous trouva tout timides, la suite nous trouva plutôt ardents...

D'ailleurs à la même période, je ne sais pourquoi, il y eut une épidémie de mariages et de bals parmi les gens de la haute. Le quatuor infernal, qui depuis peu avait repris du poil de la bête, m'asticotait sans cesse avec ça, en me disant que je ne serais jamais invitée à de telles fêtes... sauf peut-être comme marmiton ou femme de ménage !

Je laissais dire. Elles ne pouvaient pas grand chose contre moi, dans le fond ; la leçon qu'elles avaient reçu leur avait suffi. Et elles avaient fini par se résigner au fait que Yannick m'aimait et m'était fidèle... Car ces pestes avaient bien sûr tenté de le séduire malgré lui, et tant pis pour moi ! Mais il ne voyait que moi, tout comme je ne voyais que lui. Le véritable amour, à notre âge, c'est exclusif !

Enfin, toujours est-il qu'un de ces mariages devait avoir pour ma mère et moi une importance capitale. Nous nous étions retrouvés un soir, tout le groupe, dans notre local habituel, et ma mère demanda à mes « tontons » la raison de leur visage réservé. L'un d'eux désigna la table et lui enjoignit de lire la nouvelle proposition de concert. Je m'en emparai avant ma mère – ça l'agaçait d'ailleurs prodigieusement, cette manie que j'avais de la devancer au téléphone, au courrier... – et je vis qu'il s'agissait de se produire justement à un de ces mariages de la haute.

Je reconnus le nom, car les pestes m'avaient assez baratinés avec. Il s'agissait de l'une des familles les plus influentes, dont le fils épousait l'héritière d'une autre famille riche. Curieusement, il s'agissait là d'un mariage à moitié arrangé, à moitié d'amour : tant mieux pour les familles, tant mieux pour les futurs époux. Ceux-ci étaient de grands fans de notre groupe, et leurs familles, bien que n'approuvant guère cette passion pour notre style de musique, voulaient leur faire plaisir pour l'occasion. Le cachet proposé était tout à fait alléchant, et je me demandais où était le problème... Je passai les papiers à ma mère.

Son visage se décomposa en lisant, et elle se laissa tomber sur le siège qu'un de mes « tontons » venait de placer fort à propos derrière elle. Un autre lui mit dans les mains un verre de whisky - déjà prêt ! - qu'elle avala d'un coup. J'ouvris des yeux ronds, et encore plus quand elle en avala un second. Cul sec, et sans frémir.

Le troisième « tonton » me serra l'épaule, et je refermai la bouche avant de poser la moindre question. Ma mère ouvrit la sienne.

Réfléchis bien avant de refuser, coupa-t-il. Tu as beaucoup changé depuis, ils ne te reconnaîtront probablement pas. Je doute même qu'ils aient jamais su que tu fasses partie de notre groupe en particulier. Et quand bien même, c'est pour leur fils et sa future épouse, tu sais qu'ils ne se permettront pas de faire le moindre scandale. Réfléchis... C'est peut-être le moment, pour Elspeth comme pour toi.

Là, je ne comprenais plus rien !

Ma mère m'observa un long moment, le visage blanc mais les pommettes rouges – ça, c'était sûrement les deux whiskys. Sa voix rauque de tension me fit peur.

Je ne sais pas... Peut-être avez-vous raison. Ça remonte à tant d'années... Je ne suis pas obligée de leur dire qui je suis au cas ils ne me reconnaîtraient pas. De toute façon, je n'existe plus à leurs yeux depuis bien longtemps !

Elle prit une nouvelle rasade de whisky, et son visage reprit encore un peu plus de couleur.

Elspeth, dit-elle d'une voix forte qui me fit sursauter. Ne me demande rien, ne demande rien à tes oncles et essaie de ne pas trop te torturer la cervelle sur tout ça. Tu sauras tout en temps voulu. On verra ce qu'on verra...

Qu'as-tu dans la tête ? demanda un de mes « tontons ».

Une confrontation... répondit ma mère avec un sourire terrifiant. Comme vous dites, c'est peut-être le moment... Mais j'attendrais tout de même que nous ayons fini notre prestation, rassurez-vous !

samedi 29 décembre 2012

Tu dois vivre...

C’est la solitude qui te feras mourir
Ne rejette pas les gens comme ça.
Pourquoi ne veux-tu aimer personne ?
Mais pourquoi ?

La source vive de ton amour est scellée,
Plus profondément que je ne l’ai jamais vu.
Regarde au fond de toi : es-tu tellement heureuse
D’être seule ?

Qu’est-ce qui t’as paralysée,
Quel est l’homme qui t’auras rejetée
Quand tu te donnais librement
À lui ?

Tu es encore jeune, reste pas comme ça :
La vie est trop courte pour être gâchée.
Nous sommes tous des papillons,
Alors, vole…

 

vendredi 28 décembre 2012

Elspeth (10)

 Fin d'un merveilleux et trop court week-end, retour en classe, je constatai avec une joie secrète que deux des filles s'étaient faites porter pâles – celles à qui j'avais collé les yeux au beurre noir – et que les deux autres me regardaient d'un air d'autant plus morose que Yannick et moi nous tenions sans cesse par la main. Je me sentis triomphante.

Hélas pour moi, le lendemain, les deux absentes furent de retour, un sourire mauvais aux lèvres et arborant fièrement leurs blessures de guerre. Et pour cause... Car leurs familles avaient porté plainte contre moi !

Je fus convoquée dans le bureau du directeur, qui me fit un sermon que je ne supportai qu'avec difficulté, me sachant innocente. Et juste quand il termina, ma mère, qu'on avait aussi convoquée, entra en coup de vent, absolument furieuse et tenant dans ses bras un paquet de chiffons que je reconnus aussitôt pour mes vêtements déchirés. La suivait mon cher Yannick.

Il y eut une explication orageuse, mais le directeur dut bien se rendre à l'évidence : j'étais depuis mon entrée dans l'école d'une patience d'ange, et il était improbable que quatre filles se soient fait rosser par une seule !

On me tint à l'écart des explications suivantes, mais je sais par ma mère que les familles des pestes désiraient mon expulsion et ne pouvait admettre que leurs chéries si douces et délicates, ces modèles de bonnes manières, puissent avoir causé du tort à une inférieure sociale.

— Pauvres dindes ! les insulta ma mère en aparté. Et leurs filles sont de vraies mijaurées !

Le directeur, ayant enfin démêlé la vérité, dit leur fait à toutes ces dames, donna un blâme au quatuor infernal et annonça que si elles restaient, c'était uniquement par faveur - par faveur financière, dirais-je, familles de riches !

Ce fut très calme durant quelques mois, après cela... Ce qui me convenait tout à fait ! Car, autre nouvelle d'importance mais de toute autre nature, ma mère et mes « tontons » estimèrent que mon niveau de bassiste était suffisant pour que je monte sur scène avec eux pour leur prochain concert... Et j'avais le trac !

Yannick venait souvent nous voir aux répétitions, et sa présence me réconfortait. Son enthousiasme était si communicatif qu'il parvenait à me faire rire là où mes « tontons » n'obtenaient qu'un rictus... Mais eux, je les connaissais depuis toute petite.

Ce devait être un petit concert, mais ça ne m'empêchait pas de m'angoisser. Le soir même, j'étais plus tendue que la corde d'un arc. Et je sentais aussi la tension du groupe, bien qu'ils soient infiniment plus habitués que moi à monter sur scène ; ça n'arrangeais pas les choses. Et si j'oubliais les accords ? Et si je faisais des fausses notes ? Et si la sangle lâchait et que ma basse casse en tombant ? Et si ?

Puis vint le moment de monter : mes « tontons » s'avancèrent, puis ma mère, qui se retourna juste avant d'entrer en scène, en s'apercevant que je ne la suivais pas. Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas ! Je lui lançai un regard suppliant, incapable de parler, gorge sèche, le cœur battant à tout rompre : figée pour l'éternité...

Les yeux de ma mère s'arrondirent soudain, ses lèvres se retroussèrent en un sourire, et deux mains se plaquèrent si violemment sur mes épaules que je crus défaillir. Les mains me retournèrent – d'un seul bloc, tellement j'étais rigide d'angoisse – et mon regard plongea dans celui incroyablement bleu de Yannick...

Il tentait de m'hypnotiser ou quoi ? Puis il m'embrassa. Si langoureusement que j'en eus le vertige : totalement incapable de penser, je me raccrochai à lui comme à une bouée de sauvetage, et quand il me lâcha nous étions tous deux essoufflés et un peu rouge. Non vraiment, il venait de réveiller en moi des sensations très fortes...

Il me tourna – toujours d'un bloc — vers la scène, et me poussa gentiment. Je trébuchai, fis un grand pas en avant pour me rattraper et prit la main tendue de ma mère qui se retenait de rire.

Nous entrâmes ensemble sous les projecteurs.

jeudi 27 décembre 2012

Je suis celle...

Je suis celle qui marche sur un tapis d’étoiles.
Je suis celle qui hante les Trois Mondes du Temps.
Je suis celle qui provoque et efface les tourments.
Je suis celle qui fait gonfler toutes les voiles,
Et cingler vers l’Eternité.

Je tiens d’une main légère les fils de vos vies,
Et de l’autres les élégants ciseaux qui les coupent.
Je suis celle qui vous embrase comme de l’étoupe,
Je suis celle que toujours l’on prie,
Et maudit, toujours et à jamais.



mercredi 26 décembre 2012

Elspeth (9)


 La moitié des filles du collège me regardait avec jalousie, et je m'en moquais éperdument. Par ce seul baiser et ce seul regard, Yannick avait renversé toute mon existence !

Je ne saurais vous dire ce qui avait changé. Ma vie n'était pourtant pas si différente ; mais lorsque Yannick me regardait, mon cœur bondissait; sa voix me faisait frémir ; et ses mains, ah, ses mains ! Qu'elles étaient douces !

Un soir, ma mère m'observa et se mit à rigoler. Il me fallut un moment pour que ce bruit pénètre ma délicieuse rêverie éveillée : j'avais la tête posée dans les mains, le regard perdu dans le vague... Au lieu de réfléchir à mon problème de mathématique, je ne voyais que Yannick !

— Tu es amoureuse, Elspeth... dit ma mère d'un air de conspirateur.

Je rougis.

— Et alors, grognai-je.

Elle écarta les mains.

— Et alors je trouve que ça te rend plus jolie que jamais.

C'était bien d'elle de me sortir un truc pareil ! Je contre-attaquai :

— Et toi, maman, tu étais plus jolie quand tu étais amoureuse ?

— Oui. J'étais plus jolie parce que l'homme que j'aimais me trouvais jolie. Pas la peine de t'énerver ! Je suis juste amusée de te voir si rêveuse, c'est si peu dans tes habitudes ! Bon allez, dis-moi... Quel est son nom, la couleur de ses cheveux ? De ses yeux ?

— Oh, maman !

Je me mis à rire, moi aussi, et je lui racontai tout. C'est incroyable, cette faculté qu'a ma mère d'être aussi... Il n'y a pas de mot, je crois ! Elle est ma mère, mais elle est aussi mon amie. Je peux tout lui raconter, et elle comprend. En son cœur, elle est capable de retrouver la jeune fille qu'elle a été...

Et puis un soir, hélas, le quatuor infernal s'enhardit dans sa nouvelle haine contre moi. Je m'assis sur un banc devant la fontaine du parc, de l'autre côté de l'endroit où nous devions nous retrouver, Yannick et moi. Mes vêtements étaient en lambeaux, je portais des griffures et j'étais complètement décoiffée, suite à un douloureux arrachage de cheveux.

Le quatuor infernal m'avait coincé non loin, tandis que je rêvais de Yannick et de notre rendez-vous vespéral, et elles s'étaient jetées sur moi en grognant comme un caniche fou furieux. Heureusement pour moi qu'elles ne savaient pas se battre ! Elles m'ont tiré les cheveux et m'ont arraché mes vêtements – mes préférés, ceux qui me mettaient si bien en valeur – tout en me distribuant force claques.

Vite réveillée, je me suis débattue comme un beau diable et elles sont reparties qui avec un coquard, qui avec des bleus aux tibias, des griffures et des morsures, en boitant bas et me traitant de chat sauvage. Oui, je me suis défendue comme une gamine des rues : que faire d'autre, à une contre quatre ?

J'enfouis mon visage dans mes mains. Qu'est-ce que je devais faire ? Rentrer à la maison et envoyer un message à Yannick pour lui dire que j'étais malade ? Et ma mère, alors, devais-je lui dire qu'on m'avait attaqué ? Non, non... Mais elle allait forcément remarquer la disparition de mes vêtements favoris !

J'en étais là de mes réflexions lorsque j'entendis le bruit d'une course sur les graviers de l'allée. Le temps de relever la tête, Yannick était là, essoufflé et troublé.

— Elspeth, bon sang, j'ai eu si peur, comment te sens-tu ? Attends, tu as du sang là...

Il tira un mouchoir propre de sa poche et m'essuya si tendrement la joue que j'en fondis en larmes. Il me prit dans ses bras et me serra.

— J'ai croisé les filles que tu appelles le quatuor infernal, reprit-il, je me suis caché juste avant qu'elles ne me voient. Elles parlaient de ce qu'elles venaient de te faire, et je me suis vraiment inquiété pour toi !

— Ça va, elles ne savent pas frapper. Elles ne m'ont pas fait grand mal... mentis-je.

— En attendant, tu les a bien arrangées, et c'est bien fait pour ces sales pestes. Viens, on va rentrer chez toi pour que tu te changes et qu'on soigne tes écorchures. Tu ne peux pas aller au cinéma dans cet état !

Je protestais, mais il avait raison. J'avais les jambes qui tremblaient un peu, et – ô joie – il laissa son bras autour de ma taille, pour me soutenir. Enfin, peut-être pas que pour me soutenir !

Ma mère poussa les hauts cris. Elle me soigna sans cesser de vitupérer contre mes persécutrices. Tandis que j'allais dans ma chambre enfiler des vêtements propres, ma mère cuisina Yannick sur ce qu'il s'était passé, et lorsque je pris mes chers vêtements en haillons pour aller avec regret les jeter, elle me les prit des mains et refusa de me donner la moindre explication, avant de nous envoyer dehors avec un sourire.

— Vous avez prévu une soirée, mes chéris, alors allez-y ! Vous avez juste le temps d'arriver au ciné avant le début de la séance.

Yannick et moi nous entre-regardâmes, puis il me prit par la main et nous nous mîmes à courir. Il ne me la lâcha plus de toute la soirée, sauf quand il posait son bras sur mes épaules. Malgré la douleur diffuse provenant de mes écorchures, je nageais dans le bonheur.

Allons, cette soirée si mal commencée allait peut-être bien se terminer !

Devant la maison, sur le pas de la porte contre laquelle je m'étais adossée, Yannick se pencha sur moi...

Premier baiser.

mardi 25 décembre 2012

La chasse

Volent les nuages dans le ciel, tandis qu’au sol, il court, apeuré ;
Son coeur est bien prêt d’exploser, ses poumons s’essoufflent,
Ses membres sont fatigués et trébuchent, ses yeux cherchent un abri.
Il sent l’odeur, l’odeur redoutée, les brindilles craquent derrière lui,

Il est là, se rapproche, se rapproche, sûr de lui, sûr de ses talents.

Le lapin trouve enfin son terrier ; il s’élance, faisant appel
À ses dernières forces, ses longues oreilles couchées sur son dos, il bondit.

Trop tard. Je vois quelques gouttes de sang tombées par terre,
Quelques touffes de poils, et je ne peux que deviner ce qu’il s’est passé.

 

lundi 24 décembre 2012

Un cadeau de noël

La Pipelette du Forum - Édition Noël 2005 (Sims 2 PC)

— "Jacques... Si seulement nous avions un enfant..."

— "Oui, Marie. Si seulement !"

Ils ont tout essayé. L'amour pendant des heures, aux moments les plus favorables. La science, et ses bébés-éprouvettes. Les remèdes de bonne femme, censés rendre plus fertile. Rien n'y a fait, tout a échoué.

Jacques et Marie ont tout pour être heureux : l'amour qui les lie depuis leur plus tendre enfance, une belle et confortable maison, de nombreux amis, un travail facile et bien payé... Il ne leur manque que le plus beau des cadeaux de la vie : un enfant.

Le désir d'enfant minait de plus en plus profondément le moral de Marie. Elle se rendait dans l'unique pièce de libre, dans laquelle son mari et elle avait entassé leurs vieux jouets.

Jacques ne voyait pas sans inquiétude le sourire et la joie déserter son épouse.

A ce rythme-là, elle finirait par sombrer dans une dépression dont elle ne sortirait pas vivante...

En regardant une émission à la télévision, Jacques eut l'idée qui allait tout changer. Ils avaient oublié une solution, une seule mais... qui pouvait tant leur apporter !

Jacques se tut devant l'air interrogateur de son épouse. Marie se demandait bien ce qui était arrivé à son tendre époux, pour qu'il devienne aussi songeur...

Le temps passa, l'été périt puis l'automne, puis vint l'hiver ; et Marie découvrit avec surprise que son mari devenu distant voyait régulièrement une belle rousse, avec laquelle il semblait fort bien s'entendre.

Elle n'en croyait pas ses yeux. Menant sa petite enquête, elle s'aperçut que certaines des réunions tardives de travail de Jacques masquaient en fait ces rendez-vous tenus hautement secrets.

Marie en était sûre : Jacques lui était infidèle. Elle n'avait pu donner d'enfant à l'homme qu'elle aimait, et celui-ci se détournait de cette femme infertile qu'elle était, incapable à tout jamais de procréer par un étrange caprice de la Nature...

Noël approchait à grand pas, le temps de la Nativité, et Marie perdait la Foi.

Vint enfin la nuit de Noël.

Vaille que vaille, Marie avait préparé une succulente dinde aux marrons qu'elle avait abondamment arrosée de ses larmes, tandis que Jacques s'était empressé, pendant ce temps, à faire rentrer de mystérieux objets par le garage d'un air de conspirateur.

Ils mangèrent dans la cuisine, comme à leur habitude. Jacques semblait excessivement content, et faisait mine d'ignorer le teint pâle de son épouse silencieuse.

Il l'amena d'une main douce près du sapin. De très nombreux paquets se trouvait à son pied, mais à leur nom à tous les deux ; Marie, sortant de sa détresse momentanée, commença à croire que Jacques n'allait peut-être pas lui annoncer qu'il la quittait.

Jacques, lui, avait un mal fou à se retenir d'exploser de joie, tant il était fier et impatient.

— "Marie, je vais te montrer à quel point j'ai pensé à nous deux ces derniers temps. Je crois que ça va te plaire."

Il la serra brièvement dans ses bras, puis la poussa légèrement en avant :

— "Regarde derrière le sapin", dit-il.

Un berceau et... un bébé !

Marie se pencha et prit tendrement le bébé dans ses bras. Se tournant vers son mari, elle le regarda, les larmes aux yeux, ne sachant que dire.

— "Il s'appelle Samuel, il a grand besoin d'une maman... et d'un papa !" dit Jacques.

En voyant le visage de Marie tout illuminé de joie, Jacques sut qu'il avait bien fait d'en appeler à l'adoption.

Ce fut le plus merveilleux cadeau de Noël qu'eut jamais Marie, à part le premier sourire que leur fit le petit Samuel, qui illumina toute leur vie...

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Je me doute bien qu'une adoption ne se passe absolument pas de cette manière (du moins quand elle est faite de manière légale). Cette histoire a été créée à partir du jeu Les Sims 2, version PC, pour un journal nommé La Pipelette du Forum, dont j'ai été co-fondatrice et co-rédactrice, et proposé aux personnes inscrites sur le forum du jeu dans un sujet dédié. L'image de couverture est tirée d'une série d'images prises dans la partie que j'ai créée/jouée exprès pour ce faire.

dimanche 23 décembre 2012

La neige

La douce et fraîche neige
Tombe du ciel ;
Et un seul flocon semble
Une étoile si jolie…

Le Ciel est descendu sur Terre
Pour illuminer notre vie
Une joie mystérieuse

Nous étreint ;
Fragile beauté,
Si lumineuse,
Blancheur si pure enfin,

Que notre existence en semble pleine
De cette froideur blanche et molle :
Un bel hiver est plein de neige.

samedi 22 décembre 2012

Elspeth (8)

 La vie est étrange. Il ne se passe rien pendant des années, puis, soudain, tout se précipite et se bouleverse.

Cette conversation avec ma mère fut bien vite reléguée dans un coin de ma tête car de nouvelles préoccupations vinrent occuper le devant de la scène. Je ne m'étais encore jamais intéressée aux garçons – non plus qu'aux filles, de sorte que j'ignorais lesquels m'attiraient le plus. Pour tout dire, je m'en fichais royalement, et peut-être d'autant plus que toutes les filles autour de moi ne cessaient de glousser comme des poules lorsqu'elles parlaient des garçons !

J'étais trop occupée par le travail scolaire et par mes premières leçons de basse avec mes « tontons » du groupe de ma mère... et de mon défunt père. L'un d'eux se débrouillait aussi bien avec une guitare classique qu'avec une basse, et c'était lui qui avait repris la partie de mon père à sa mort. Maintenant, c'était à mon tour, et je commençai à attraper le truc : et puis, j'adorais le toucher des cordes et le son produit. On ne se rend jamais compte de l'importance de la basse dans un morceau que lorsqu'elle disparaît.

Bref, très occupée. Avec le temps, j'avais fini par nouer des relations amicales avec certains des élèves de l'école. Tous n'étaient pas aussi guindés, coincés et méprisants que le quatuor infernal. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous étions amis, j'avais trop l'habitude d'être seule ; mais nous parlions régulièrement ensemble, et pas toujours des cours.

J'avais fini par remarquer qu'un garçon de la classe se retrouvait toujours à la bibliothèque de l'établissement en même temps que moi. Nous avions pris contact, petit à petit, et bientôt nous faisions ensembles nos devoirs, nos recherches... Il me raccompagnait même parfois chez moi le soir, et de temps en temps nous allions nager à la piscine communale. Il me fallut plus de temps pour comprendre pourquoi l'animosité du quatuor infernal à mon égard reprit de la vigueur.

C'était le plus beau garçon du collège, tout simplement ! Et bien sûr, elles étaient diablement jalouses. Résultat, elles étaient elles aussi toujours fourrées à la bibliothèque. Ça m'énervait, leurs regards haineux vers moi et langoureux vers mon ami. Difficile de se concentrer sur les devoirs, même si lui les ignorait avec superbe. J'avais vaguement entendu dire qu'elles avaient formé une sorte de club, réservé aux filles, dont la vocation était d'aduler et de protéger Yannick.

Vraiment stupide.

Un soir, tandis que je rassemblai mes affaires et m'apprêtai à quitter la bibliothèque – Yannick ne s'y trouvait pas, à cause de son entraînement de base-ball – le quatuor infernal me coinça. Éléonore, Mathilda, Nina et Marion m'ordonnèrent – avec chaleur pour une fois, ça changeait – de cesser toute relation avec Yannick. Je fus tentée de leur répondre grossièrement d'aller se faire... voir ailleurs si j'y étais, mais je préférai garder la bouche close.

Et elles continuèrent ainsi pendant cinq bonnes minutes, en m'expliquant pourquoi il me fallait ne plus le voir ni lui parler, en quoi ma regrettable influence et ma fréquentation lui étaient préjudiciables, etc.

Je baillai d'ennui ce qui, je crois, les choqua. Pourtant, j'avais mis la main devant la bouche. Et je leur répondis enfin :

— Bon, donc, vous protégez Yannick.

— Oui ! répondirent-elles en chœur – très synchronisées, il fallait leur rendre cette justice.

— Et il est fort, n'est-ce pas ?

— C'est le plus fort ! — Et le plus beau – Et le plus intelligent – Oui, c'est le plus fort !

Je me mis à sourire.

— Un fort n'a pas besoin d'être protégé, n'est-ce pas ?

— Non, bien sûr que non, c'est évident voyons, Conchita !

Tiens donc, ce vieux surnom revenait ? Je les achevai :

— Puisque Yannick est si fort, il n'a pas besoin de votre protection.

Et je les plantai là. Pauvres filles, les hormones de l'adolescence leur chamboulaient complètement leur pauvre petite tête !


Et une semaine plus tard, Yannick me prit la main et m'embrassa sur la joue. Avant de me regarder d'un regard si bleu et si fondant de tendresse que je bégayai, lamentable.

vendredi 21 décembre 2012

L'oeil de la douleur

L’abîme de sa noirceur
Est insondable. C’est une profondeur
Triste, incroyable, un joyau noir
De toute beauté, une triste pierre d’amande
Douce-amère. Brillante, le soir,
Telle aux étoiles, prends garde
Que la pupille ne fende ;
De couleurs vives tu te fardes,
Mais elles ne cachent pas ton œil.
D’apparence prometteuse
À l’intérieur ton deuil,
Ta pupille te trahit, pleureuse.

C’est l’œil de ta douleur
Qui te fait te trahir,
C’est la pupille de ta langueur,
Dans tes longs soupirs.
L’abîme de ta noirceur est insondable.
C’est une profondeur triste, incroyable.
C’est l’œil de la douleur,
Qui seul peut te trahir,
C’est la pupille de langueur
Qui seule, ceux qui la voient, fait souffrir.

jeudi 20 décembre 2012

Elspeth (7)

 D'ailleurs, ça me travaillait. À quatorze ans, j'estimais avoir été assez patiente avec ma mère. Je me souvenais de son attitude lors de la visite du directeur, de sa tenue : elle ne faisait pas que jouer un rôle, j'en avais la certitude.

Elle ne m'avait jamais vraiment parlé de mon père : certes, elle m'avait succinctement raconté qui il était — ouvrier, bassiste, son nom, plus un bref topo sur sa famille disparue. Mais comment s'étaient-ils rencontrés, quelles étaient les circonstances de son décès et de ma naissance... D'ailleurs, était-il vraiment mort ? Ou avait-il abandonné ma mère en apprenant sa grossesse ?

Un soir, je mis ma mère en demeure de me répondre. Et j'ajoutai que je voulais savoir si, oui ou non, les autres avaient raison en me nommant bâtarde.

Elle se mit en colère. Pas contre moi, mais contre les autres ! Et puis elle me raconta brièvement sa vie avant moi.

— Je ne supportai pas ma famille. L'éducation qu'on m'avait donné ne correspondait pas à ma personnalité, à mes désirs : pour tout dire, j'étais une rebelle ! Un soir, je suis allée voir le concert d'un groupe de rock dont j'étais fan. Ils étaient peu connu à l'époque, et j'ai pu discuter un moment avec eux après le concert. Nous avions à peu près le même âge. Une chose en amenant une autre, je me suis retrouvée à chanter devant eux, et ils ont ouvert de grands yeux. Ils se sont regardés, se sont retournés vers moi et le bassiste m'a demandé : « Tu veux devenir notre chanteuse ? ». C'était la chance de ma vie, un rêve qui se réalisait ! D'ailleurs, tu les connais très bien puisque je fais toujours partie des leurs : ce sont tous tes « tontons ». Ton père, Matt, était leur bassiste : c'était le plus beau et j'étais folle de lui. C'était l'amour de ma vie !

Elle soupira.

— J'ai dû quitter ma famille. Ils m'ont reniée et déshéritée car ils ne pouvaient pas accepter que je transgresse toutes leurs stupides règles ! Le rock, musique de sauvage, les musiciens, artistes à éviter entre tous, épouser un « vulgaire homme du peuple » ? J'ai rompu tout contact avec eux, Matt et moi nous sommes mariés et puis... Il est mort dans ce stupide accident de moto...

Je ne savais que dire. Raconter cette histoire lui faisait mal, ça se voyait, malgré son ton passablement indifférent.

— Mais... bégayai-je. Alors toutes ces bonnes manières que tu connaissais quand le directeur de l'école privée est venue... C'est ta famille qui te les as apprises ?

— Il suffit, jeune fille ! J'en ai assez dit ; il se fait tard. Tu as école demain, tu dois dormir.

— Maman ! criai-je soudain. Tu refuses encore de parler d'eux, mais j'ai un grand-père et une grand-mère, non ? Je n'ai pas le droit de les connaître, de savoir leur nom, où ils vivent ? Tu ne me dis jamais rien sur eux. Tu me refuses le droit de vraiment connaître mes racines !

— Ils m'ont reniée ! cria-t-elle à son tour, soudain crispée. Reniée, ne sais-tu pas ce que cela signifie ? Elspeth, bon sang ! Ils m'ont abandonnée. Ils ont sciemment décidé que je n'avais jamais existé ! Et cela, uniquement parce que je ne me conformais pas à leur idée de ce que devait être une bonne fille de bonne famille. Tu veux les connaître ? Et si eux ne le veulent pas ?

Ce fut comme si elle m'avait frappée. Comment pouvait-elle dire ça ? Elle agita l'index sous mon nez en se penchant sur moi.

— Quand tu es née, Elspeth, reprit-elle plus calmement, je leur ai envoyé un faire-part. Ils n'ont pas donné signe de vie. Alors je suis allée les voir, malgré ma résolution de les ignorer. Je t'ai laissée à la garde d'un de tes « tontons » et je suis retournée à la maison de mon enfance honnie. Par miracle, on m'a laissé entrer et voir l'homme qui se trouve par hasard être mon géniteur. Il m'a vue, il est entré en fureur. Il voulait me jeter dehors. J'ai tenu tête et je lui ai parlé de toi. Que quelques soient nos différents, il n'en était pas moins ton grand-père et qu'il pouvait te voir s'il le voulait. Je ne te répèterais jamais ce qu'il m'a lancé au visage. Je ne le lui pardonnerais jamais !

Gros silence. Je ne pouvais croire ce qu'elle me disait. Ses yeux s'emplirent de larmes, et elle se détourna. Je vis ses épaules secouées convulsivement. Hésitante, je pris ma mère dans mes bras.

— Je t'aime, maman.

— Oh, mon petit cœur, qu'aurais-je fait sans toi !

mercredi 19 décembre 2012

Peur

C’est le jour qui se lève, qui te délivre
De tes peurs incertaines de la nuit.
Dans l’épaisseur moite de la sombre couverture,
Qui cachait des abîmes de noirceur et d’atrocités,
Tu frémissais et priais, priais pour être délivré
De ce cauchemar qui te hante depuis si longtemps.

mardi 18 décembre 2012

Elspeth (6)

 Avec le temps, les choses avaient fini par se tasser. Bon gré mal gré, les autres avaient fini par accepter ma présence et mon niveau scolaire bien supérieur à ma condition d'orpheline sans nom.

Sans nom, oui, car le quatuor infernal avait dû finalement renoncer à me surnommer Conchita et à m'ordonner de nettoyer leurs souliers avec la langue – comme si j'allais y obéir... Un professeur avait assisté à la première fois où elles avaient tenté de me prendre pour leur servante ; elles eurent droit à un sacré savon de la part du directeur en personne... Elles avaient donc dû cesser leurs agaceries, sachant désormais que j'étais sous protection. Et, comme par magie, les brimades anonymes s'espacèrent.

Puis, deux ans plus tard, je fus détrônée – à mon soulagement – de mon rang de petite nouvelle ! Cette fois, c'était un garçon. Le pauvre, il était plutôt laid, assez précoce pour avoir le visage couvert d'acné, asocial et guère aimable, pas excessivement intelligent non plus. La seule fois où je tentai de l'approcher, pour le connaître un peu mieux, il me rembarra sèchement. Il ne voulait personne autour de lui, point.

Je compris plus tard, en écoutant discrètement les autres et les adultes, qu'il avait trop souvent été brimé à l'école à cause de son caractère plutôt particulier et n'avait confiance en personne, ni aucune envie de connaître quiconque. Sa famille ne devait pas non plus s'occuper de futilités telles que le partage avec ses enfants, l'amour et la tendresse. Il n'était qu'un héritier du nom, ses sentiments n'avaient aucun intérêt pour eux.

Et puis, il était issu d'une famille d'arrivistes... Des nouveaux riches ! Insulte aussi grave aux yeux du quatuor infernal que la présence de la bâtarde — ces pestes m'avaient trouvé un nouveau surnom qui me touchait au cœur, et s'arrangeait pour que je sois la seule à l'entendre.

Ce garçon se révéla tellement indifférent aux autres qu'il ne fut pas importuné beaucoup plus longtemps que moi. On le laissa vite tranquille, et on ne se retourna heureusement pas contre moi par dépit. Il n'aurait plus manqué que ça !

Il était vraiment antipathique. Même les professeurs ne l'appréciaient guère. Même moi, je finis par être contaminée par les autres, mais, sans colporter de ragots sur son compte, je l'ignorais soigneusement.

Et un jour que j'avais dû lui parler, je ne sais plus pourquoi, il m'avait demandé si c'était bien moi celle qu'on nommait la bâtarde...

lundi 17 décembre 2012

Le Mal

Le mal n’a pas de couleur,
Partout il se cache.
Faut-il avoir peur
De cette force qui nous hache ?

dimanche 16 décembre 2012

Elspeth (5)

 J'avais choisi cette école pour sa réputation d'excellence et ses débouchés sur des universités de renom, pas pour sa fréquentation. J'eus la chance que ces élèves pleins de morgue jugent indignes de leur haute condition de s'abaisser à porter la main sur mon ignoble petite personne. Dans une école publique, ordinaire, fréquentée par tout et tout le monde, on m'aurait sûrement coincée dans un endroit tranquille et flanquée une bonne correction...

Ce fut assez dur pour moi au début. Dans mon école précédente, j'avais peu d'amis, en fait plutôt des camarades. Mais ils étaient là, nous partagions nos idées, nos expériences, nos envies, nous nous chamaillions à qui mieux mieux...

Désormais, j'étais seule. Je ne parlais plus de la journée, sauf quand je répondais à la question d'un professeur, sous les regards hostiles ou narquois des autres. Les professeurs s'en rendirent compte, et certains tentèrent bien de discuter avec moi de la situation, mais je me bornais à répondre que c'était mon affaire.

Cette solitude – mes anciens amis avaient cru comprendre de ma décision de changer d'école que je me trouvais trop bien pour eux et m'avaient stupidement abandonnée, à mon grand regret – cette solitude me permit de me plonger à corps perdu dans le travail scolaire.

De fait, j'étais naturellement studieuse et assez intelligente ; première de la classe dans mon ancienne école, je me hissai bien vite aux premiers rangs dans ma nouvelle école. Trop haut, trop vite : les véritables brimades commencèrent — finalement, ils n'étaient aps tellement de la populace par eux tant méprisée. Rien de bien méchant...

On me faisait un croche-pied dans la cohue quand on rentrait en classe. Je ne voyais jamais qui, trop d'élèves autour de moi ! Un jour que j'avais mal refermé mon casier, je retrouvai tout souillé et déchiré, même mes livres. Et bien entendu, mon casse-croûte, préparé par ma mère, avait disparu ; alertée par l'odeur, je le retrouvai dans mon pupitre de classe, quelques jours plus tard, bien moisi déjà...

Je pris l'habitude de tout faire vite et bien. Je vérifiais la fermeture de mon casier. Je ne laissais rien dans mon pupitre. J'attendais d'être à la maison pour faire mes devoirs, passant mes heures d'études à relire mes cours. On me laissait dans mon coin, comme une pestiférée : nul ne s'approchait de moi durant ces heures-là.

A la maison, je pouvais me détendre, et j'en devenais même parfois exubérante. Ma mère ne m'accompagnait plus à l'école, je le lui avais demandé et elle avait très bien compris pourquoi, même si ça la rendait triste, je m'en rendais compte... Alors le soir, dès que je la voyais, je sautais dans ses bras et l'embrassais. Elle me débarrassait de mon sac, allait le poser près de mon bureau tandis que je m'attablais devant le délicieux goûter qu'elle m'avait préparé.

Ma mère était formidable. Contrairement à ce que tant d'autres mères auraient fait, elle ne me dit pas que je l'avais bien cherché à vouloir fréquenter ces « gosses de riches ». Elle ne me dit pas que je ferais mieux de retourner dans mon ancienne école. Elle se comportait avec moi comme si j'étais une grande... Je n'aurais pas supporté qu'elle me traite comme une gamine, ce que j'étais pourtant !

Elle ne me jugeait pas, et me serrait bien fort dans ses bras quand elle sentait que je n'allais pas bien. C'est grâce à ma mère que je dois de n'avoir pas craqué durant la première année que je passai dans cette école.

samedi 15 décembre 2012

Un matin

Un matin,
                L’aube
        Dorée, se lève.

Rayon rose, tu
        Frappes
        Le nuage
                Orange
        Jaune.

L’oiseau s’envole
        Tache noire à
                L’horizon,
Fraîche rosée, illuminée.

        Un matin,
                L’aube
        Dorée, se lève.

vendredi 14 décembre 2012

Elspeth (4)


 Mon premier jour à l'école privée fut glacial. Temps pluvieux, visages froids des élèves, professeurs formels... J'étais la petite nouvelle, celle qui arrivait en cours d'année : ça ne m'étonnait pas. Il me fallait faire mes preuves.

Première récréation, un groupe de filles à l'air hautain s'approcha de moi.

— Salut, fis-je.

— Bonjour, me répondirent-elles.

Ma première erreur. Trop familier pour ces filles de bonnes familles ! La brune la plus proche de moi repris la parole :

— Je suis Éléonore de Castlebrun. Et voici Mathilda Von Braüchen (désignant une blonde) Nina MacFairchild (la rousse) et Marion Ravensbrück (cheveux noirs).

Super. Que des noms hyper chics, et même plutôt connus. J'avalais discrètement ma salive, avant de répondre :

— Je suis Elspeth Connocha.

Gros silence.

— Hé bien, reprit Éléonore, ton surnom est tout trouvé... Conchita !

J'encaissai en silence. Je voyais le topo : nom banal, commun, inacceptable pour des gens de la haute comme ces quatre pimbêches. Le premier et le dernier à m'avoir appelé ainsi auparavant, je lui avais fait cracher ses dents. Bon, j'ai failli être renvoyée de l'école pour m'être jetée sur lui pour un motif somme toute un peu futile, mais j'avais fait amende honorable, et les autres se l'étaient tenus pour dit... Mais là, je ne pouvais me permettre une telle réaction !

— Ainsi, ton père s'appelle Connocha .. Comme c'est amusant, ajouta Éléonore, d'une petite voix flûtée. Et quel est son métier ?

J'étais orpheline... Ça m'évitait de répondre ouvrier ou manœuvre, ce qu'il avait été lorsque ma mère l'avait rencontré, m'a-t-elle raconté.

— Il est mort, répondis-je.

— Oh ! La pauvre. Comme c'est triste pour toi, Conchita, fit Éléonore, les coins de sa bouche se relevant en un sourire passablement satisfait.

— Avec un tel nom, Conchita, demanda d'une voix dégoulinante d'ironie la dénommée Nina, je ne comprends pas que le directeur t'ait acceptée dans notre établissement. À moins que tu ne sois la fille bâtarde d'un jeune prince et d'une femme de chambre ?

— Ou alors, c'est que sa mère s'est abaissée à ce que les gens du commun nomment « la promotion canapé » !

Là, c'en était trop. Je serrais les poings, ce qui les fit reculer, mais la cloche sonna avant qu'elles ne puissent dire un seul mot. Elles me lancèrent un regard qui me figea sur place et se dirigèrent vers la salle de classe.

Ce soir-là, en voyant mon visage, ma mère ne fit aucun commentaire, mais me redonna du dessert et me serra l'épaule.

jeudi 13 décembre 2012

Lasse...

J’me sens agressive
Comme un’bête aux abois,
Prête à tout.
J’sens qu’je fatigue
J’n’en peux plus ;
Tout me lasse,
Me dépasse,
Me submerge,
M’enfouit au plus profond de la terre.

Parfois, j’aimerais voler
Dans les cieux, sentir le vent
Caresser mes cheveux
Voler, plus haut et encore
Plus loin, voler plus loin que tout
Que les autres,
Sentir la chaleur du soleil
Si douce, sur ma peau, voir de haut
Cette terre où je m’enfouis
De plus en plus profondément car
Je suis trop... lourde, d’humeur trop...
Sombre...

Et je sombre dans le noir
Dans la terre ou la mer, je
Ne sais plus,
Nage entre deux eaux puis
Cherche à s’envoler ma
Petite âme, mon petit corps,
Mais trop pesante, trop lourde je
retombe et replonge
Aussitôt dans cet abîme profond,
Où les rayons du soleil ne me
Parviennent
Plus.

mercredi 12 décembre 2012

Elspeth (3)


 Ma mère me fit une belle surprise, ce soir-là. Ce n'est pas tellement son tailleur ultra-chic (et dont je n'ai pas osé demander le prix ni la provenance), qui détonnait tant par rapport à son look punk-rock habituel, que son comportement.

Je la savais bonne actrice, pour l'avoir vue dans ses grandes œuvres (surtout sur scène), mais là, elle me souffla totalement !

Elle la joua grande dame. Elle parla bien, très bien même, dans un vocabulaire très classe, très haute société. Ses manières se firent raffinées, et même un brin évaporées lorsque le directeur, sensible à son charme, augmenta ses galanteries.

J'en restais bouche bée, et un mal fou à me concentrer sur mes devoirs ; je ne l'avais jamais, au grand jamais entendu parler ni vu agir de la sorte !

Le directeur fut très impressionné, et, à la fin de l'excellent repas que ma mère avait concocté (avec l'aide d'un traiteur, la dinde se révélant au dessus de ses compétences culinaires), il lui annonça qu'il m'acceptait dans son école, sans plus de formalités.

Victoire !

Ma mère devait m'avouer par la suite, que, bien que mal à l'aise au début dans ce costume et ce langage si peu dans notre ordinaire, elle s'était difficilement retenue de rire en voyant ma tête.

Je fis la moue. Elle m'avait donné l'impression d'être dans son élément, comme si de vieux souvenirs oubliés remontaient soudain à la surface...

mardi 11 décembre 2012

Un rêve

J’étais dans un grenier fabuleux,
Du plafond pendaient, étranges,
De très longues franges
De toiles arachnéennes en camaïeux.

Il y avait des bouquets de fougères ;
Remplis de liquides étincelants,
De bizarres récipients
Sur de longues rangées d’étagères.

Soudain des marches firent
Leur apparition. Je voyais
Des gens partir,
Qui montaient cet escalier,
D’une ivoirine lumière
Une douce et fraîche rivière.

J’ai monté et descendu cet escalier de flammes,
J’ai vu des humains et des animaux les âmes ;
Je n’ai jamais bien compris comment
J’avais pu le parcourir entièrement ;
Cela m’a été donné comme un précieux cadeau,
Un don merveilleux, et beau.

Hélas ! Vision éphémère de pure beauté,
Les larmes les remplissants, mes yeux se sont ouverts,
Et, remplie d’une indescriptible douceur, j’ai contemplé
Le clair matin et les arbres verts.


______________

J'ai essayé là de décrire un rêve m'étant réellement arrivé. Je me suis effectivement réveillée les larmes aux yeux, le coeur apaisé, emplie d'une joie sereine.

lundi 10 décembre 2012

Elspeth (2)


 Ce matin-là, au petit déjeuner, je demandais à brûle-pourpoint à ma mère si elle pouvait m’inscrire dans une école privée. Ma mère s’étouffa en avalant ses céréales. J’attendis, anxieuse, les mains crispées sur le rebord de la table et le dos raide.

— A l’école privée ? Mais ça coûte très cher, ma puce ! dit-elle.

Une longue minute s’écoula, tandis que ma mère m’observait en silence, les yeux étrécis.

— Allez, explique-moi tes raisons. Tu as sûrement d’excellents arguments pour me convaincre de te placer dans une de ces écoles pour gosses de riches !

Elle me laissa parler un bon moment sans m’interrompre, et je me sentis rougir. Je voyais son air sceptique, et ma voix se tut.

— Rien d’autre ? demanda-t-elle.

Je hasardais une pointe d'humour :

— Tu sais, le directeur est jeune, assez beau, et il paraît qu’il est célibataire. Peut-être pourrais-tu l’inviter…

Ma mère éclata de rire.

— Toi, si sage, tu me suggères de faire du charme à cet homme pour qu’il t’accepte dans son école guindée ? On aura tout vu ! Ma foi, pourquoi pas, ajouta-t-elle en se calmant brusquement. Mais il reste le problème du prix de l’inscription.

— Il acceptera peut-être de te « faire une ristourne », dis-je en souriant.

Ma mère me retourna le sourire.

— On peut toujours essayer, fit-elle. On dirait que ça te tient à cœur, et nous avons tout à y gagner !

Nous concertant, nous mîmes au point le plan qui allait convaincre le directeur que j’étais la candidate idéale pour son école. J’attendrais son arrivée pour me plonger dans mes devoirs d’un air studieux (comme à l’accoutumée). Ma mère s’habillerait de façon sexy, mais classe : donnant l’illusion d’être une femme active (ce que, somme toute, elle était), sérieuse, travaillant dur pour élever sa fille unique (ce qui est vrai, malgré ce que l'on peut penser : chanter est sa passion, mais pas son gagne-pain).

Elle aura aussi préparé quelques uns de ces cocktails dont elle a le secret et un bon repas (je lui suggérais de faire de la dinde plutôt que ses macaronis habituels), et nous aurons bien sûr nettoyé la maison de fond en comble dès mon retour de l’école publique.

Ensuite… Tout dépendra de ses talents d’actrice.

dimanche 9 décembre 2012

Un triste jour...

La tristesse d’un jour de pluie...
Le calme,
Un fond sonore en continu ;
Dans les cheminées coule la suie ;
Des gouttes d’eau tombant des feuilles de palme,
La lumière douce, dans le jour si ténu.

Partout, ce n’est que grisaille.
Où que porte le regard,
Seuls les nuages changent de couleur.
Aujourd’hui, la pluie fouaille,
Lançant son humide dard,
Le ciel a un pleur.

L’amour
Se sent triste et gris,
La joie, semble-t-il, fuie.
En ce jour,
Pas un rire, pas un souris,
La tristesse d’un jour de pluie...



samedi 8 décembre 2012

Elspeth (1)

 La plupart des enfants tirés à quatre épingles, comme moi, sages comme des images, qui travaillent dur pour devenir les premiers de la classe, sont issus d’une famille à l’éducation stricte, formelle, voire un tantinet rigide.

Moi, c’est tout le contraire. Des parents modèles ? Point. Femme de ménage, jardinier ? Non plus. Un château, un manoir, des écuries, que nenni. Non, rien de tout ça.

J’ai seulement une mère célibataire et excentrique.

Vous me direz que pour chanter dans un groupe de rock, il faut bien être excentrique. Ce n’est pas toujours faux, mais il existe des rockeurs relativement normaux hors de la scène.

Elle, il faut toujours qu’elle bouge. Elle jongle avec les bouteilles du frigo. Elle fait tout un cinéma en préparant un cocktail, lançant le shaker dans les airs et le rattrapant dans son dos. Quand elle me voit le matin, au lieu d’un simple bonjour elle tend les bras dans ma direction, pointe les index vers moi tels des pistolets et me fait un clin d'œil !

Vous vous demandez sans doute quels sont mes sentiments pour ma mère ? Hé bien, je n’en sais trop rien. En fait, si, mais mes sentiments sont mêlés, contradictoires, et comment en dénouer les fils lorsqu’on a seulement huit ans ?

Tout bébé, je m’en moquais éperdument. C’était ma mère, qui me préparait des biberons à la manière d’une barmaid (elle l’a été), qui me bordait dans mon berceau le soir, qui me câlinait tendrement quand je tombais et me faisait mal, qui me racontait de merveilleuses histoires de fées et de démons.

Puis je suis entrée à l’école. Et on s’est moqué d’elle. Et, par extension, de moi. Je n’ai pas pu le supporter, et puisqu’on méprisait ma mère pour ce qu’elle était, et moi pour être sa fille, j’ai voulu prouver que je n’étais pas comme elle.

Et voilà le résultat.

Vous connaissez maintenant la situation. Désormais, je vais vous raconter ma vie telle qu’elle s’est déroulée au fil du temps.

vendredi 7 décembre 2012

L'orage, le soleil, et moi

J’entends le vent siffler hors d’ici.
Je vois les branches des arbres se plier, se balancer,
Quelques feuille s’envoler,
Le vent siffle, souffle.

Je sors. Le vent me souffle au visage
Souffle dans mes cheveux qui
Se mettent à voler en tous sens,
En avant, en arrière.

Maintenant, le vent gronde, les nuages volent
Plus aucun oiseau ne s’envole,
Les branches cassent, tombent.

De temps à autre, de brèves lueurs,
Éclairs, vifs et rapides, blancs et oranges,
Claquent, au-dessus de ma tête.

Plus de vent, encore plus, même les pierres volent.
Plus personne, dehors, les animaux, comme les hommes
Se terrent dans le moindre recoin.
Tout bouge, tout tremble,
Le tonnerre s’invite et le vent hurle.

La foudre ! Elle est tombée, tout près,
Sur un arbre. Cassé en deux, foudroyé, il tombe,
En deux morceaux, dans la forêt, sur la route.
Je suis sur la route. Mais je n’ai pas peur.
Je suis l’orage, et le tonnerre, et les éclairs, et le vent.

Je me laisse porter par le vent, et les éclairs m’illuminent,
Le tonnerre m’assourdit, je n’existe plus, je suis l’orage.

Je vois la terre tourmentée, sous les flots aveuglants qui
Tombent du ciel, et je tombe avec, et je deviens eau, petites gouttes d’eau.

Je tombe. Je reviens à moi. Il pleut, de plus en plus
Doucement. L’orage s’éloigne, mes pensées reviennent. Doucement.
Le ciel est gris. La lumière est grise. L’eau est grise.
Un grondement lointain. Je m’assieds sur un vieux tronc mouillé.

Je regarde et j’écoute. J’écoute la pluie qui tambourine
Sur le vieux tronc creux et moussu où je me suis assise,
Doucement. Le vent tombe. La pluie s’arrête. Les nuages sont partis.
Doucement. Le soleil apparaît, lentement, ses chauds rayons m’éclairent.

Des rayons de miel me tombent dessus, me réchauffent,
Et le coeur, et le corps. L’orage s’éloigne.
Un immense arc de cercle, brillant, et coloré.

Un arc-en-ciel : écarlate et rubis.
Puis du bronze, du cuivre; de l’or brillant comme le miel du soleil.
Émeraude, vert d’herbe humide; azur du ciel après l’orage.

Indigo du soir qui tombe, comme celui qui tombe
Sur moi. Violet améthyste, la gloire du soleil couchant
Comme ce soleil, après l’orage, qui me réchauffe,
Qui me baigne de son miel écru. Le soleil se
Couche, le roi du jour. Je deviens ce soleil et je lutte

Je lutte pour laisser nos couleurs, les couleurs de l’arc-en-ciel.
Ces couleurs de pierres et de métaux précieux, aux tons si chauds.
Couleurs de fruits : grenade, orange, banane, citron vert et l’eau
Des lagons bleus, leur indigo, et leur violet.
Mais la nuit se rapproche, et le soleil cède gracieusement la place.

La lutte est finie, la nuit est là. Bleu, indigo,
Violet, noir. De petits points d’argent incrusté dans l’ébène.

Mes pensées perdues retrouvent leur chemin dans les méandres,
À la lueur de la lune, si belle et si pâle, grise, blanche, et noire.

Je rentre chez moi. Il est temps. L’orage est vaincu.

L’orage est vaincu par le soleil.

Le soleil est vaincu par la nuit.

Et moi, je suis vaincue par l’humidité,

Par le froid. Je rentre chez moi.

Et je m’endors, vaincue par le sommeil.


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Ce poème fut créé pendant deux longues heures de cours de français au lycée, les deux dernières heures du jour. Oui, je sais, j'aurais dû mieux écouter la prof, mais c'est tellement barbant alors que l'imagination s'envole !