samedi 27 octobre 2018

Asiar - Prologue

 Elle dégage doucement le panneau de bois ouvragé qui ferme sa cachette. Une odeur de sang et de tripes la prend à la gorge tandis que le silence l'assourdit.
Elle a peur de ce qui l'attend. Ses parents, sa cousine et toute leur escorte...
Elle a attendu durant des heures que tout son disparaisse. Les cris d'abord, de guerre, de rage, d'effroi et de douleur, les entrechocs des armes. Puis les exclamations de joie du pillage, les râles d'agonie, les disputes de trouvailles convoitées. Puis plus rien, s'était-elle assoupie, était-elle en transe ? Elle ne sait.

Par l’entrebâillement elle distingue de riches tissus froissés et tachés de sang. Un pied : elle reconnaît celui, fin et délicat, de sa mère. Elle le touche : il est froid et la rigor mortis est déjà à l'œuvre. Un haut-le-cœur lui soulève la cage thoracique. Elle retire sa main, hésite, guette un mouvement, un bruit... Rien.

Alors elle se décide enfin à sortir de sa cachette. Elle tente de ne pas regarder les cadavres de sa famille, aperçoit du coin de l'œil la chevelure souillée de rouge de sa cousine, trébuche sur le corps de son père, mort l'épée à la main et s'arrête net devant le carnage qui entoure le carrosse.
Ce n'est plus qu'un champ de mort empli de cadavres tailladés, de morceaux d'humains tranchés ou désarticulés.

Elle vomit, vomit encore sous le choc et les odeurs, fait le tour du carrosse, perdue, lorsque soudain une main passe devant ses yeux et se plaque sur sa bouche. Une autre se pose lourdement sur ses épaules et la retourne brusquement.

Tétanisée, elle reconnaît un des palefreniers de l'escorte, celui qui souvent l'aidait à préparer son poney. L'homme est vieux mais encore alerte, les yeux tout hallucinés de l'enfer à peine achevé, et dépenaillé de s'être caché parmi les souillures de la mort.

— Princesse, fait-il de sa voix éraillée, Princesse, il faut partir d'ici. Il n'y a plus que la mort ici, que la mort pour nous deux. Partons, Princesse. Nous n'avons plus que nos vies et c'est déjà mieux que rien. Il faut vivre.

Elle s'en remet à lui. Il a un sac de vivres, rescapé des pillages. Côte à côte, ils quittent le champ de bataille au chant des corbeaux.

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