Siara pesta une fois de plus entre ses dents tandis qu'elle menait sa
monture d'une main et tenait les rênes de celle du Prince dans
l'autre. Décidément, le Prince Mol... ne l'était pas tant que ça
! De fait, Siara n'était pas mécontente de cette nouvelle vigueur
qui lui rappelait le petit prince de sa jeunesse, mais quelle source
d'ennuis... Heureusement que la petite troupe de rebelles était bien
entraînée, car le jeune noble ne manquait décidément pas de
ressources. La vie au milieu de sa cour de flagorneurs l'avait rendu
plus rusé qu'on n'aurait pu le croire.
Prendre prétexte d'un besoin pressant pour tenter de s'enfuir, se
cacher dans les buissons, donner brusquement du talon à sa
monture pour la faire partir au galop ou tenter de lui faire faire
volte-face à l'aide du seul poids de son corps (— Il a donc appris
l'équitation ! pensa Siara), s'éclipser la nuit en catimini...
Tenter d'amadouer la revêche jeune femme, de plus en plus
subtilement puisque la drague grossière si efficace sur une servante
restait sans effet sur elle, essayer de corrompre par de vaines
promesses les hommes qui les entouraient...
Siara jura : une fois encore, le Prince avait donné du talon et les
rênes de sa monture arrachèrent les doigts de la jeune femme.
Donnant à son tour du talon, elle encouragea son cheval à
poursuivre l'autre, le dépassa et lui coupa la route. Las, le Prince
parvint à faire tourner sa monture en pressant le côté de
l'encolure d'une main et se penchant légèrement de l'autre, puis il
rétablit son assiette et incita son cheval à reprendre le galop.
— C'est qu'il sait vraiment mener sa bête, en plus ! s'exclama un
des hommes qui riaient.
Leur chef soupira.
— Allez aider Siara, les gars, ordonna-t-il, on ne va pas y passer
la journée !
Le Prince boudait. Sur l'ordre du chef, on lui avait attaché les
jambes aux étriers et liés lâchement les mains dans le dos, tandis
que les rênes de sa monture avaient été séparées en deux, chaque
moitié tenues par deux des rebelles qui se relayaient. Siara
souriait largement de la déconfiture du royal prisonnier, qui en
bouda encore plus.
Enfin la troupe parvint à l'un des avant-postes rebelles disséminés
à travers le pays. Ils avaient tous besoin de quelques jours de
repos, de repas chaud et d'un bon bain. C'est là qu'ils
découvrirent, avec consternation, que le Prince... ne savait pas se
laver seul. En effet, depuis la prise de pouvoir du Grand vizir, il y
avait en effet toujours eu des servantes pour prendre soin du garçon
: voulait-il manger un grain de raisin qu'une servante le lui pelait,
voulait-il s'éponger le front l'été qu'une autre le lui tamponnait
d'un linge frais... Il prétendit donc que Siara, seule femme
présente dans l'avant-poste, était la seule habilitée à l'aider à
sa toilette.
À la surprise de tous, elle accepta.
Seul le chef de la troupe rit dans sa barbe, pressentant le spectacle
!
La jeune femme accompagna donc le Prince aux bains, rentrant avec lui
dans la pièce pleine de vapeur, au grand émoi des hommes déjà
présents. Elle poussa brutalement son Altesse Royale contre un mur,
prit un seau d'eau froide et lui en jeta le contenu sur la tête.
Dégoulinant, le souffle coupé, le Prince l'aperçut qui frottait du
savon sur les poils d'un balai. Ses yeux s'agrandirent.
— Non, non, non... ! commença-t-il, mais Siara brandit le balai,
souriant d'un air angélique.
Puis elle commença à frotter vigoureusement le corps princier...
— Enlevez vos mains de là, Votre Altesse, le gourmanda-t-elle d'un
ton suave, vous êtes plus sale qu'un cochon et votre servante doit
bien vous frotter la peau ! poursuivit-elle, mordante.
Sans tenir compte des gémissements d'outrage et de douleur de
l'objet de sa colère, elle poursuivit le supplice jusqu'au bout,
retournant le Prince d'un petit coup de balai bien placé pour
nettoyer son dos. Lorsqu'elle le retourna encore et leva la tête du
balai vers le visage du Prince, celui-ci poussa une sorte de
couinement, leva une main pour se protéger du balai et prit de la
mousse de savon sur son corps de l'autre.
— Regardez, je me lave le visage ! Je me lave le visage tout seul !
Je vous en prie ! supplia-t-il en se frottant les joues.
Siara et les hommes éclatèrent de rire.
— Ben voilà, Votre Altesse, vous savez le faire, tout compte fait
! Je vous laisse finir alors. Je prépare le seau pour vous rincer,
répondit Siara.
Le Prince gémit, déconfit sous les quolibets de ces manants et le
rude traitement qu'il subissait, mais n'osa rien dire. Quand il vit
les deux nouveaux seaux d'eau que la jeune femme tenait entre ses
mains, il soupira, leva sa tête de l'air le plus altier qu'il puisse
prendre, ferma les yeux et grommela entre ses dents :
— Allez-y, je suis prêt !
Et Siara lui jeta à nouveau le contenu du premier seau sur la
tête... L'eau était tiède.
— Ça rince mieux le savon, expliqua Siara. Maintenant que Votre
Altesse est propre, vous pouvez vous plonger dans le bassin et vous
détendre un peu. Il est chaud, précisa-t-elle malicieusement avant
de poursuivre, s'adressant à l'assistance :
— Les hommes, je vous laisse la suite, vérifiez qu'il se sèche
derrière bien les oreilles sinon je vais les lui frotter, moi !
Le Prince déglutit tandis que l'assistance riait à gorge déployée.
— Elle n'est pas commode, hein ? dit l'un des hommes, compatissant.
Allez Votre Altesse, venez vous plonger dans le bain, ça ira mieux,
vous verrez !
Siara constata avec satisfaction que le Prince la traitait désormais
avec une prudence respectueuse.