Siara pesta entre ses dents. Son altesse le Prince Mol était en plein sevrage. Depuis trois jours qu'il n'avait pu prendre aucune de ses drogues habituelles, il avait fallu l'attacher sur sa monture afin qu'il n'en chute pas à cause de ses tremblements incoercibles, subir l'odeur de la sueur aigre qui inondait ses vêtements — tout le monde prit soin de ne pas se trouver sous le vent — subir ses plaintes le jour sur la nourriture, le repos, l'hygiène, et ses hurlements de terreur dus à ses cauchemars nocturnes.
(— Cela ne peut durer plus longtemps, pensa Siara. L'on doit trouver un lieu sûr où prendre soin du Prince Mol le temps pour lui de passer le plus dur du sevrage. autrement il risque de nous claquer entre les pattes...)
Le soir même, Siara présenta le problème au chef du groupe. Après quelques palabres, il fut convenu qu'une partie du groupe poursuivrait sa route comme prévu avec les deux prisonniers restant, tandis que l'autre, avec Siara, prendrait soin du Prince. C'est ainsi que la petite troupe qui escortait le royal prisonnier s'amenuisa encore, prenant une nouvelle direction, à la recherche d'un abri... Ils le trouvèrent peu avant midi, sous la forme d'une vieille mais solide cabane de berger. Tandis que deux des rebelles surveillaient le prisonnier, les autres s'assurèrent de la solidité du reste de la bâtisse, vérifièrent les provisions de nourriture et de bois de chauffage, et allèrent chercher de l'eau à la petite rivière qui coulait non loin. Lorsqu'enfin la tempête qui les menaçaient depuis le matin arriva sur eux, tout le monde était à l'abri.
Siara trempa un nouveau linge dans le seau d'eau fraîche et baigna le visage du Prince, lavant sa sueur. Remarquant sa soudaine rigidité et ses yeux fixes, elle plaça un morceau de bois lisse entouré d'un tissu épais entre les dents du jeune homme et appela.
— Tenez-le bien ! lança-t-elle à ses camarades. Sa prochaine crise arrive !
Avant les premières convulsions, les quatre hommes empoignèrent les jambes et les bras du Prince. Ses gémissements étaient assez forts pour concurrencer le puissant vent de tempête qui soufflait au dehors.
Une fois cette nouvelle crise passée, le chef s'approcha de Siara.
— Les choses vont mal, n'est-ce-pas ? demanda-t-il.
Siara hésita un instant avant de répondre à voix basse :
— Aucun de nous ne s'y connaît suffisamment en sevrage forcé... Nous aurions dû avoir un médecin avec nous ! J'ai peur qu'il ne passe pas la nuit à ce rythme, et nous n'avons aucune drogue à lui donner pour limiter les symptômes du manque !
— Nous aurions dû être préparé à cela, c'est vrai... soupira le chef. Ah ! Ces nobles... !
Il tira de sa poche une flasque d'alcool fort.
— Essaie de lui en faire boire quelques gorgées quand il le pourra, ça l'aidera peut-être un peu.
Il réfléchit un instant avant de reprendre :
— Pour l'instant, nous ne pouvons rien faire de plus. Mais dès que la tempête se calmera suffisamment, j'irais avec un de nos hommes au village que nous avons vu un peu plus tôt, voir si un médecin ou un rebouteux peut nous aider. Tant pis pour le risque que quelqu'un nous dénonce, nous ne pouvons pas nous permettre que le Prince meure ! Va te reposer un moment, Siara, je prends le relais. Vous aussi, ajouta-t-il à l'intention des autres hommes, qui furent remplacés promptement par leurs camarades dès que la crise de convulsions fut passée.
La tempête se calma aux petites heures du jour. Le Prince avait passé la nuit. Siara jeta le bâton de bois, tout fendu par les dents du Prince, et en prit un nouveau qu'elle ponça grossièrement de sa dague afin d'enlever les échardes et entoura d'un nouveau morceau de tissu épais. Longues furent les heures en attendant le retour des hommes. Le Prince haletait, les yeux exorbités et injectés de sang. L'alcool ne semblait guère le soulager. Il semblait avoir perdu conscience, marmonnant des mots sans suite.
— Liline ! s'exclama-t-il clairement à une ou deux reprises. Liline, où es-tu ?
Siara sursauta intérieurement en l'entendant.
(— Il ne m'a pas oubliée !) pensa-t-elle, surprise.
Enfin, le guetteur de garde signala le retour des hommes, accompagnés d'une personne supplémentaire. Siara soupira, espérant que le nouveau venu saurait soigner le Prince.
(— La nouvelle venue) rectifia-t-elle en voyant la vieille femme enlever son manteau à capuche, révélant de longs cheveux gris noués en un chignon grossier.
La vieille femme reprit son sac et s'approcha de son patient. Le chef de la petite troupe de rebelles lui avait déjà expliqué le problème, et elle prit rapidement la mesure de la situation. Elle fit avaler au patient quelque mixture de sa composition à intervalles de plusieurs minutes, en alternance avec de l'eau fraîche, tout en surveillant de près son état.
— Il va s'en sortir, dit-elle soudain d'une voix fatiguée. Il aura encore besoin d'un traitement de quelques jours et de beaucoup de repos, cependant. Je sais que cela est risqué pour vous : j'ai compris qui vous êtes et qui il est probablement. Les nouvelles vont vite dans le pays. Je vais vous laisser ce remède pour l'instant, mais je vais devoir retourner chez moi avant que le tout village ne se réveille. Un de ces messieurs devrait me raccompagner, sous l'apparence d'un pauvre hère. Les Dieux savent qu'il y en a beaucoup qui parcourent le pays depuis quelques années ! Aussi personne au village ne s'étonnera de m'en voir soigner un autre... Ce monsieur-là pourra ainsi me surveiller et vous serez rassurés. Je ferais semblant de le raccompagner en dehors du village ce midi, c'est ce que je fais pour les autres, avec un petit panier de provisions. Ce panier contiendra en fait ce qu'il vous faudra pour finir de soigner ce jeune monsieur en piteux état... Vous pourrez profiter de la nuit pour repartir. Ce sera difficile avec ce jeune monsieur, mais c'est le seul moyen de protéger à la fois et votre cause que je soutiens et mon village que j'aime. Cela vous convient-il, messieurs ? acheva-t-elle ce long discours, les yeux pétillants devant l'air stupéfait et ravi des rebelles.
Ainsi fut fait, et la troupe de rebelles repartit avec son royal mais piteux chargement...
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