lundi 30 mars 2020

La princesse mercenaire (2)


 Treize auparavant, la reine et l'une de ses femmes de chambre enfantèrent à une journée d'écart. Chacune mit au monde une fille. Une huitaine de jours plus tard, la femme de chambre vint voir la reine et la princesse héritière, amenant avec elle sa propre enfant. Les deux femmes furent heureuses de se revoir, car la reine appréciait grandement cette jeune femme tant pour ses services que pour sa personnalité agréable et enjouée.

Ce fut hélas ce soir-là que des assaillants inconnus pénétrèrent le château, massacrant tout sur leur passage, pillant et violant, finissant par mettre le feu avant de repartir.


"Nous entendîmes d'abord des hurlements, lointains, puis se rapprochant. Ce fut trop tard que les cloches sonnèrent l'alerte, trop tard pour que la défense du château fut organisée, d'autant plus que la région était paisible depuis de nombreuses années et la garde du château n'était pas préparée à une telle chose... Les intrus avaient déjà commencé leur œuvre funeste. Bientôt les combats se rapprochèrent, nous perçûmes le bruit des armes s'entrechoquant et les cris des mourants. La Reine, qui tenait alors ma fille dans ses bras, tandis que je tenais la Princesse, m'intima d'aller me cacher dans l'alcôve cachée derrière une tenture, créée lors de la construction du château en cas d'intrusion ennemie. Les bruits se rapprochaient si vite, ils étaient derrière la porte... La porte s'ébranlait sous les coups ! Obéissant à la Reine, je me précipitais derrière la tenture, la tenant légèrement ouverte derrière moi pour que la Reine puisse m'y suivre. Les assaillants étaient sur le point d'ouvrir la porte... Les choses allaient trop vite, c'était impossible ! J'appelais la Reine, tendit la main pour la tirer à moi, à l'abri, mais elle me lança un regard navré puis referma la tenture sur moi, serrant toujours ma fille dans ses bras menus.

Je ne saurais reproduire ici les mots qu'elle lança aux envahisseurs, ils furent coupés nets par le son d'une lame tranchant la chair encore et encore une fois... J'entendis ensuite les assaillants se disputer pour avoir tué la Reine avant que de profiter de la beauté de son corps, puis se congratuler d'avoir éliminé le bébé qu'ils prenaient pour la Princesse Héritière... Je me mordis les lèvres jusqu'au sang, serrant à presque l'étouffer contre moi la Princesse réveillée par les bruits et l'odeur du sang, afin de l'empêcher de crier et de révéler notre position. Je dus perdre conscience un moment, tout en restant cependant dans la même position, car lorsque je repris mes sens le tumulte des combats s'était tu. Pendant longtemps encore, je n'osais bouger, transie de peur et de douleur d'avoir perdu et ma Reine et mon enfant !

Mon devoir était clair, cependant, je devais trouver une cachette plus sûre pour la Princesse. Je connaissais plusieurs façons de sortir discrètement du château. Je sortis à temps pour retrouver mon mari en notre ancien lieu de rendez-vous secret, du temps d'avant notre mariage. Derrière nous, des flammes s'élevaient du château, encore un peu et la Princesse et moi aurions péri dans les flammes ! N'eut été mon devoir envers la jeune Héritière, j'y serais retournée chercher le corps de mon enfant, quitte à mourir brûlée vive. Le cœur brisé, il me fallut pourtant raconter à mon mari la mort de notre Reine bien-aimée et celle de notre toute petite fille. Doublement accablé de chagrin, il me raconta celle de notre Roi tout autant aimé, l'épée à la main, vaillant jusqu'au bout bien que sachant que son talent de guerrier, si immense soit-il, et quelque peu rouillé par le manque de pratique, ne lui permettrait pas de contenir à lui seul tant d'assaillants. Quand nous rejoignîmes le village-capitale, sis au pied de la colline où s'érigeait le château, les gens prirent l'enfant dans nos bras pour notre petite Lissandra, et non pour la Princesse Héritière Kissandre ; nous ne les détrompâmes pas, encore incertains sur la conduite à tenir à cet égard.

Dès que nous le pûmes, mon mari et moi rencontrâmes l'Archiviste, seul dépositaire de la Plume de Vérité dans le village, afin que je témoigne des faits dans un Rouleau Scellé. L'Archiviste, mon mari et moi convînmes finalement de conserver le secret sur la survie de la Princesse, incertains que nous étions que le massacre ait pu être le fait d'un ennemi inconnu du royaume, et non simplement le fait de pillards bien organisés. L'Archiviste, de par sa position de Maître-Archiviste du royaume, pensait être en mesure d'empêcher qu'un nouveau souverain soit élu, en admettant que personne ne s'arroge le trône de force, en attendant que la Princesse soit en mesure de prendre possession de son héritage. Il savait, nous savions tous, que le Royaume pourrait se gouverner sans souverain pendant quelques années.

Il fut convenu que ce témoignage sous Rouleau Scellé, écrit de ma main à la Plume de Vérité, garante de la véracité de mes propos, serait remis en main propre lors du dix-huitième anniversaire de la Princesse Héritière, et qu'avec la marque royale tatouée sous son omoplate gauche elle recouvrerait son histoire et son identité. Libre alors à elle de répandre la vérité et de réclamer son trône, ou de conserver à jamais le secret et de vivre comme elle l'entend."


Abasourdie, Lissandra ne protesta pas lorsque son beau-père lui dénuda l'épaule gauche jusqu'aux côtes.

— Oui, la marque royale ! jubila-t-il. Mais je me posais de plus en plus de questions sur ta ressemblance grandissante avec la défunte Reine... Comme tout le village d'ailleurs ! C'était une étrangère, il y a peu de femmes dans cette forêt qui vous sert de royaume à posséder des cheveux d'un blond aussi pâlot !

Les pensées de la jeune fille étaient comme engluées. Cette histoire impossible... Mais écrite dans un Rouleau Scellé, donc à la Plume de Vérité enchantée par la magie, ils étaient forcément vrais !

— J'ai bien fait de laisser mourir le mari de ta mère adoptive sous les coups de boutoir de ce sanglier puis de la consoler ! continua-t-il.

"Quoi ?" pensa-t-elle.

— Ça n'a pas été bien difficile, d'ailleurs, poursuivit-il, la pauvre veuve était bien seule avec ses deux gamines, et comme j'étais celui qui avait assisté aux derniers instants de son cher époux... ! Mais c'est incroyable à quel point elle t'a protégée, Princesse ! Parvenant à justifier ta couleur de cheveux et toute ton apparence en exhumant le portrait de sa grand-mère qui venait vraiment du même pays que ta vraie mère, m'empêchant de jamais voir ton épaule nue... Tu peux remercier son fichu caractère de paysanne mal fagotée : elle ne s'est jamais soumise à ma domination malgré toutes les questions dont je l'ai discrètement pressée à ton sujet !

La jeune fille tenta maladroitement de remonter son casaquin sur l'épaule.

— Oh non, ma jolie Princesse, reprit l'homme d'un air mauvais en la retournant brusquement vers lui. Tu promets d'être aussi belle que ta mère, la défunte Reine, et les Dieux savent comme elle était belle !

L'homme ferma les yeux, se pâmant dans le souvenir.

— Belle à se damner... Et toi, toi, ajouta-t-il en lui jetant un regard de convoitise, tu es assez âgée pour que tes formes commencent à pousser...

Il passa rapidement la main sur la poitrine de la jeune fille : elle recula par réflexe, et secoua son poignet pour le libérer.

— Allons, ma chère enfant, tu y serais passée un jour ou l'autre, et sûrement plus tôt que tu ne le penses. Dans mon pays, tu serais déjà mariée et devenue mère avant même de voir ton premier sang de femme !

Il lâcha enfin son poignet et prit le devant du casaquin à deux mains, puis les écarta largement, déchirant tout l'avant du cou jusqu'à la taille. Il ricana devant les seins à peine formés :

— Tout petit, mais fort joli !

La jeune fille sentit monter en elle un élan de terreur, de honte et... de rage ? Son premier réflexe fut de se couvrir la poitrine de ses bras, mais l'homme les repoussa d'une chiquenaude. Sans réfléchir, elle s'appuya sur la table et leva violemment son genou... droit dans l'entrejambe de l'homme. Hurlant de douleur, il se plia en deux et elle abattit encore plus violemment sur la tête de ce traître la lampe sans flamme qu'elle tenait toujours à la main avant de le repousser à terre, partiellement assommé. Elle attrapa le Rouleau Scellé et courut hors de la grande salle, vers sa maison, vers la femme qu'elle avait toujours appelé sa mère.

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