Asiar était un fort ancien royaume, scindé en deux suite à un conflit de succession entre deux jumeaux princiers. Suite à cette scission les relations entre les princes, devenus tous deux rois, s'étaient apaisées et les Royaumes Jumeaux — Asiest et Siarest — avaient conservés d'étroits liens politiques et divers pactes militaires et commerciaux durant près de deux siècles.
Une dizaine d'années plus tôt, la famille royale du royaume d'Asiest avait été assassinée lors d'un voyage par un groupe de bandits nombreux et bien armés. Ça et là se murmurait que les bandits devaient être un peu trop bien organisés, pour avoir pu massacrer l'entièreté de l'escorte royale... Certes, les Royaumes Jumeaux étaient alors en paix, la garde avait pu faillir d'une trop longue période de tranquillité, mais... Toujours est-il que ce voyage, qui devait permettre à la princesse d'Asiest de célébrer ses fiançailles avec son promis, le prince de Siarest, avait été interrompu de dramatique façon. Nul survivant, à la connaissance de quiconque. Les fiançailles, puis le mariage, des deux héritiers, devaient permettre la fusion des Royaumes Jumeaux pour qu'ils redeviennent l'ancienne Asiar ; la situation géopolitique exigeait un royaume unique et fort, au risque sinon de se faire avaler par de plus grandes puissances.
Point de fiançailles, donc ; cependant, les deux familles descendant d'un même sang, si le trône de l'un devenait vacant il revenait tout naturellement par héritage à l'autre branche de la famille : ainsi Asiar renaîtrait quand même. On attendait impatiemment que le prince de Siarest monte enfin sur le trône et revendique la souveraineté plénière d'Asiar, mais son vizir, devenu régent suite à la mort du roi de Siarest — mort ayant suivie de peu celle de sa reine en couches — semblait rechigner à couronner son jeune prince. Il faut dire que l'attitude mollassonne de celui-ci vis-à-vis de ses devoirs ne portait pas en sa faveur : on le disait plus attiré par les plaisirs de la Cour que par la Couronne, aussi était-il surnommé le Prince Mol.
Là encore se murmurait que peut-être le vizir appréciait trop le
pouvoir pour le lâcher si simplement, et encourageait peut-être
aussi le Prince Mol dans ses vices de noble oisif...
Il est vrai
que le vizir tenait les rênes des deux trônes d'une main de fer
dans un gantelet d'acier. Il avait fait renaître Asiar dans le sang
du peuple, le taxant fortement et matant sans la moindre pitié toute
forme de protestation. Il n'était guère surprenant qu'une rébellion
de guérilla se soit formée quelques semaines à peine après son
accession à la régence ; rébellion qui, au lieu de s'essouffler
depuis toutes ces années, ne faisait que se renforcer au fil du
temps et des répressions…
Ainsi en était la situation ; le Prince Mol et sa cour personnelle de flagorneurs se prélassaient dans le Palais d'Été lorsqu'un raid des rebelles l'attaqua aux petites heures du jour. Les rebelles défirent la garde avant que l'alerte puisse être donnée. Méthodiquement, ils investirent le Palais, s'emparant de certains objets de valeurs, raflant toutes les armes et armures du corps de garde, et capturant des nobles préalablement ciblés.
Ce fut Siara qui trouva finalement le Prince Mol, caché sous les couvertures d'un lit qui n'était pas le sien, tout tremblotant de peur. C'est d'ailleurs le mouvement saccadé des tissus qui alerta la jeune femme revêche. Soulevant doucement le coin d'une couverture du bout de son épée courte, elle fut récompensée d'un :
— Non ! Laissez-moi, je ne suis qu'un serviteur, laissez-moi vivre je vous en prie ! émis d'un ton larmoyant.
La même voix, étouffée par l'épaisseur textile, reprit :
— Je crois qu'il y a des bijoux derrière une brique, sur ce mur ! Prenez-les et oubliez-moi !
Siara vit la forme d'un doigt soulever les couvertures et pointer dans la direction donnée. Elle ricana brièvement et souleva d'un grand mouvement de sa lame les riches tissus, pour découvrir un jeune homme effaré aux épais cheveux noirs emmêlés, les yeux bouffis d'une nuit passée à boire et à fumer les dernières drogues récréatives en vogue chez les nobles assez riches pour se les payer. Pas besoin de d'être grand clerc pour savoir que cet homme n'était pas un serviteur.
— Lève-toi, le froussard ! Menaça-t-elle.
Siara crut que l'homme allait se vider la vessie de peur. Il fixait la pointe de l'épée de ses yeux chassieux.
— J'aime mieux pas, répondit-il finalement. Je ne suis pas sûr de pouvoir tenir debout.
(— Incroyable. Il est mort de trouille mais capable de répondre ça... C'est parce qu'il est drogué ou juste idiot ?) pensa Siara.
— Tu te lèves ou je te fends les bourses en deux, l'effrayé ! poursuivit-elle à haute voix.
— ... Bon, d'accord... fit l'homme de sa voix pleurnicharde.
Prudemment, il s'accouda, accommoda son regard sur la jeune femme, plissa les yeux d'un air appréciateur avant de se rappeler de l'épée et s'assit pour reprendre son souffle.
(— Il a pourtant l'air jeune, celui-là, à souffler comme un vieux bœuf... Ah, les nobles !) pensa Siara.
Le jeune homme plissa à nouveau les yeux en scrutant la jeune femme.
— Dites voir, belle damoiselle... Votre physique peut vous permettre une vie plus agréable que le port de l'épée, pourquoi donc…
Siara fit siffler son épée aux oreilles de l'effronté.
— Tous les mêmes, ces noblaillons, persifla-t-elle. Lèves-toi et passe devant, tu vas rejoindre tes camarades dans la Grande Cour.
— Damoiselle, sachez que je n'ai pas de "camarades" ! s'exclama-t-il en bombant stupidement le torse. Tout au plus des sujets ! Je suis…
— Le Prince Mol, hein ?
Il bafouilla d'indignation sous l'épithète peu flatteuse accolée à son titre.
— Je me disais bien aussi que votre tête me disait quelque chose... Votre Altesse ! continua Siara en faisant un simulacre de révérence de sa main libre. Ça tombe bien, c'est vous que nous sommes venus chercher. Allez, debout, Votre Altesse, et plus vite que ça ! Et fermez votre royale bouche avant d'avaler des mouches !
— Celles qui vous tournent autour peut-être ? rétorqua le Prince d'un air outré.
Siara zébra l'air de sa lame et une fente s'ouvrit dans le vêtement du Prince.
— Allez, Votre Altesse. Je ne me répéterais plus.
Vaincu, il lui obéit. Ses jambes flageolantes avaient peine à le maintenir et Siara dut l'aider. Intérieurement Siaraline était profondément choquée de voir que le petit Prince si vif de ses souvenirs était devenu cette loque hautaine et vaine... Et certainement source de problèmes !
Siara fut obligée de soutenir le Prince Mol durant tout le trajet, jusqu'au moment où il trébucha dans les escaliers et s'arrangea pour lui tomber dessus. Non seulement il en profita pour la peloter rapidement mais en plus il tenta de s'enfuir, soudain alerte sur des jambes solides : furieuse d'avoir été jouée, Siara le poursuivit et le fit tomber rudement, s'asseyant sur son dos tout en serrant ses poignets d'une main ferme, les lui remontant aussi près des omoplates que possible. De l'autre, elle tailla une lanière à coups d'une dague tirée de sa ceinture dans les vêtements du Prince et lui lia les poignets si serrés qu'il se plaignit de la douleur ; elle vérifia que le sang circulait bien dans les poignets puis bâillonna le Prince d'une autre bande de tissu. Puis elle se releva en rangeant sa dague, reprit son épée et l'agita devant les yeux accusateurs du Prince.
— Vous avez plus de ressources que je ne le pensais, félicitations. Nous parviendrons peut-être à tirer quelque chose de vous, après tout. Maintenant allons-y, Votre Altesse. Nous sommes attendus.
Ils parvinrent enfin à la Grande Cour et Siara vit que leur intervention était presque terminée. Plusieurs prisonniers dans leurs vêtements de luxe froissés écarquillèrent les yeux en reconnaissant le Prince et Siara fit rapidement son rapport au chef de son équipe, surveillant du coin de l'œil son royal prisonnier. Puis les rebelles finirent de s'organiser et repartirent avec leur butin et leurs prisonniers. Après une ou deux heures de voyage, la troupe se sépara en trois groupes qui prirent chacun une direction différentes, afin de rendre leur pistage plus ardu pour les escouades que le Grand Vizir ne manquerait pas de lancer à leur poursuite. Puis chacun des groupes se divisa à plusieurs reprises, leurs traces se confondant sur les pistes avec celles de marchands ou de paysans…
Le temps que l'escouade envoyée par le Grand Vizir parvienne au Palais d'Été, les rebelles avaient totalement disparus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire