Épuisée par une journée de chevauchée, la fillette hésita : devait-elle se rapprocher de ce feu qu'elle apercevait ou non ?
Elle avait faim et froid, elle avait déjà survécu au viol et à l'incendie : elle s'approcha, découvrant un homme tanné par le temps et les combats, la main prudemment posée sur la garde de son épée, et dont les mèches blanches et les cicatrices témoignaient de son métier.
Le mercenaire qui était passé par le village quelques jours plus tôt. Elle avait fini par le rattraper.
L'homme buriné se détendit et parla d'une voix fatiguée :
— Hé alors fillette, qu'est-ce qui peut bien t'amener près du feu d'un vieil homme en pleine forêt et si tard le soir ?
— Je demande une place auprès de votre feu, pour manger et me reposer, répondit-elle, un peu tendue.
— Accordé. Allez descends de là, petite, viens t'asseoir. Tu vas finir par tomber de ta monture, autrement.
Elle faillit bien tomber en effet, toute courbaturée de sa longue chevauchée. Le mercenaire fut frappé du regard de la fillette, contrastant avec sa beauté naissante. Il connaissait bien ces yeux-là... Il l'avait vu trop de fois chez nombre de femmes et d'enfants, après la guerre ou dans les quartiers les plus misérables. Quelques-uns de ces enfants devenaient mercenaires et finissaient souvent par mourir sur le champ de bataille. Il se rassit de l'autre côté du feu, sans rien dire, et la fillette lui fut reconnaissante de son silence. Sans un bruit, sans un geste, apparemment concentré sur sa tasse de boisson chaude, le mercenaire l'étudia du coin de l’œil. Il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi la jeune fille s'était enfuie de chez elle, alors que les villages de ce pays étaient remarquablement bien entretenus et les habitants manifestement heureux et en bonne santé, au sein de communautés très solidaires : c'était assez rare dans ce monde pour être signalé, et ce d'autant plus qu'il n'y avait plus de gouvernement central sous l'autorité d'une lignée de noble naissance depuis une décennie au moins... Ce qui commençait à attirer l'attention de certains autres pays, dont les gouvernants les plus injustes craignaient, et à juste titre, que cet exemple n'incite leur propre peuple à se rebeller contre eux.
La fillette attacha son cheval à une branche, de sorte qu'il puisse être facilement détaché au besoin, lui posa devant les naseaux une poche remplie de grains qu'elle tira des sacoches de selle, puis s'assit avec précaution derrière le feu et mangea un morceau de pain et une poignée de fruits secs. Elle but quelques gorgées d'eau puis s'enroula dans un carré de laine, dos au feu, et ne tarda pas à s'endormir.
— Elle doit vraiment être épuisée, pauvrette, murmura le mercenaire.
Il rangea à son tour ses affaires et se coucha de la même façon, une dague à portée de main.
Le lendemain matin, revigorée, la fillette tenta de le convaincre de l'amener avec lui jusqu'à ce camp d'hiver. Il commença par refuser et elle ajouta qu'elle le suivrait de loin de toute façon et que si elle le perdait de vue elle poursuivrait seule son chemin. Il objecta les difficultés et les dangers de la route pour une jolie petite villageoise ignorante, mais elle se contenta de hausser une épaule.
— Je m'en fiche de mourir, je suis déjà morte. Si je suis incapable d'atteindre le premier but que je me suis fixé, je n'atteindrais jamais mon objectif ultime. Si vous m'emmenez avec vous, ça me donnera une chance supplémentaire de parvenir à mes fins. Aidez-moi ou pas.
Le mercenaire baissa les bras. Ça ne lui coûtait rien, après tout. Lorsqu'il s'enquit des raisons pour lesquelles elle se rendait à ce camp de mercenaires, il ne fut pas surpris de s'entendre répondre qu'elle souhaitait apprendre à combattre.
Le mercenaire était trop vieux pour participer encore aux batailles, sauf cas d'urgence, aussi la compagnie auprès de laquelle il était engagé l'avait-elle assignée au poste d'enseignant après cette dernière mission dont il revenait. Il décida en chemin de tester les connaissances de la fillette, puis de lui enseigner quelques bases théoriques. Il fut surpris de rencontrer chez une petite villageoise d'un pays paisible la connaissance des plus grandes batailles de l'Histoire, le nom des grandes compagnies de mercenaires, une certaine connaissance du nom et de l'aspect de différentes armes... La fillette avait lu tout cela dans ses livres, elle qui aimait tant savoir les choses. S'il devait estimer le genre d'arme qu'elle pouvait manier, il la voyait plutôt avec des dagues, ou peut-être une épée longue et fine... Elle devait pouvoir être vive et prompte, et ses mouvements étaient précis. Avec un peu d'affûtage, cette petite pouvait devenir une bonne lame, et son esprit et sa personnalité lui permettrait, si elle survivait jusque-là, d'obtenir un poste à responsabilité...
Le temps d'arriver au camp d'hiver, le mercenaire était convaincu et la recommanda au capitaine. Ainsi la fillette fut prise en charge par la compagnie des Éclairs et commença le long apprentissage du métier difficile, ingrat et mortel de mercenaire...
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