dimanche 30 janvier 2022

La princesse mercenaire (7)


Bientôt, les trois jeunes gens formèrent un trio inséparable, au grand dam des filles intéressées par Kal et des garçons qui n'avaient pas encore renoncé à Lissandra. La jeune fille se félicitait de ne pas avoir rejeté froidement ses deux nouveaux amis, car la vie lui semblait désormais plus colorée.

Sous l'influence de Kal et de Nours, Liss devenait moins distante avec tous les autres ; pas amicale pour autant, mais elle ne s'éloignait plus délibérément de toute situation sociale. Les divers entraînements devenaient également plus intéressants, quoique plus difficile : Liss, Kal et Nours furent sélectionnés pour prendre des leçons auprès des meilleurs professeurs du camp, dont la Capitaine des Éclairs en personne, une femme robuste, dotée d'un certain charme dont elle n'usait que lors de négociations de nouveaux contrats, au caractère de fer et très terre-à-terre. Ils étaient les trois seuls adolescents au milieu de tout un groupe d'adultes plus ou moins expérimentés, mais leurs talents affinés par leurs précédentes années d'apprentissage les firent vite accepter au sein de cette élite. Les trois inséparables avaient déjà effectués quelques missions assez simples, et seraient probablement bientôt affectés à des tâches plus ardues. Il y avait en effet des rumeurs de guerre plus loin à l'Ouest : l'on murmurait le nom d'un certain Berethius, que l'on disait déterminé à conquérir tout le continent, à l'aide de puissantes armées et de mages redoutables...

Près d'un an et demi plus tard, la rumeur se confirma : plusieurs royaumes tombèrent successivement sous la coupe du conquérant, provoquant l'effroi. Les compagnies de mercenaires négocièrent leurs services auprès des pays et se préparèrent à combattre. Les forges se mirent à fabriquer de pleines charretées d'armes, on vérifia les réserves de médicaments et de bandages, les stratèges affinèrent leurs tactiques après avoir étudié les rapports des espions sur le front et l'adversaire...


Ce soir-là, Liss, allongée sur sa couche, se demanda pourquoi son cœur battait si fort chaque fois que Kal la regardait. Pourquoi elle se sentait rougir lorsqu'il la frôlait par mégarde... Pourquoi elle avait fait demi-tour, emplie de colère et de souffrance, après l'avoir vu en train d'embrasser sa dernière conquête en date.

— C'est ça, être amoureuse ? se demanda-t-elle. Est-ce que c'est ça ? Amoureuse... et jalouse ?

Elle se retourna sur le ventre, et posa sa tête sur ses bras, le souffle court. C'était comme un nœud de douleur dans son corps.

— Si c'est ça, je n'en veux pas... Je n'en veux pas !

Elle haleta soudain, repensant à la scène, et des larmes perlèrent au coin de ses yeux tandis qu'elle serrait les lèvres.

— C'est un ami, je ne devrais pas ressentir cela ! Et aussi un coureur de jupons ! ajouta-t-elle amèrement.

Elle se retourna à nouveau sur le dos et croisa les bras sur sa poitrine après avoir rapidement essuyé ses yeux.

— De toute façon, je ne suis pas libre d'épouser qui je veux, et encore moins de conter fleurette avec le premier homme venu. Un jour, je me vengerais de Gacrow et je monterais sur le trône dont il m'a si cruellement spoliée ! J'en ai assez appris en politique pour savoir qu'il me faudra probablement contracter un mariage d'intérêt afin de nouer une alliance... J'ignore si mon expérience en tant que mercenaire sera un atout ou un problème pour la suite, en tout cas mon physique aidera certainement... Puisqu'il semble que je plaise aux hommes... Enfin, sauf à... lui !

Ce n'était guère consolant, cependant, et elle se força plutôt à penser au contrat que la Capitaine négociait depuis quelques jours : les royaumes alentours avaient formé une coalition dans l'espoir de repousser les armées de Berethius le Conquérant, et engageaient des mercenaires à tour de bras afin de renforcer leurs effectifs avec des troupes bien armées et entraînées. La guerre était si proche... Liss s'endormit sur ces pensées.


Des bruits d'armes s'entrechoquant la réveillèrent. Son esprit passa du sommeil à l'éveil, et sans même réfléchir elle se leva et entreprit d'enfiler son armure légère de cuir, tout en écoutant avec attention. Jetant prudemment un œil par la fenêtre, tout en ceinturant le fourreau de son épée au côté et de sa dague sur un bras, elle aperçut, de ci, de là, des lueurs orangées derrière certains bâtiments, évocatrices d'incendie. Son baraquement était encore calme, les autres filles ne s'étaient peut-être pas encore réveillées. Lissandra posa son casque de cuir sur sa tête, ajusta le foulard qui l'entourait afin qu'il ne gêne pas sa vision et sortit de sa chambre, laissant sa porte grande ouverte. Conformément au protocole d'alerte, elle alla toquer à la porte de chacune des chambres avant de dévaler les escaliers quatre à quatre, la main prête à tirer sa dague. Elle traversa le couloir et se dirigea vers l'entrée ; là-haut, plusieurs filles s'étaient enfin réveillées, certaines sortant de leur chambre en maugréant. Lissandra se figea : quelqu'un avait enfin actionné le système d'alerte du camp, un ensemble de cloches réparties dans toute la zone et reliées entre elles par la magie. Lorsqu'on sonnait une des cloches sur un rythme précis, les autres se mettaient à résonner sur le même rythme. Là-haut, les autres filles reconnurent l'alerte pour intrusion armée et se précipitèrent à nouveau dans leurs chambres afin de se préparer. Lissandra alla regarder par l'une des fenêtres de l'entrée, le plus discrètement possible, et découvrit qu'en quelques minutes à peine la situation extérieure avait empirée : des incendies avaient éclatés en plusieurs endroits du camp d'hiver et ronflaient si fort qu'elle les entendait, et la rue était pleine de gens qui s’entre-tuaient...

Lissandra fut enfin rejointe par les plus rapides de ses camarades.

— Oh non ! murmura l'une d'elles. Il y a un incendie... non, plusieurs ! Et... Oh ! Tout le monde se bat ?

— Je crois que c'est tout le camp qui est attaqué ! dit une autre, partie voir à l'autre bout du couloir, de ce côté-là aussi c'est la pagaille ! Où est notre chef ?

— Elle était partie à une réunion, répondit quelqu'une, je crois qu'elle n'est pas encore rentrée !

Les jeunes femmes s'entre-regardèrent.

— On fait quoi, maintenant ?

— On ne bouge pas, pour l'instant, répondit Liss. Nous ne sommes pas encore en danger. Allez guetter les autres sorties, et soyez discrètes ! Je reste à celle-ci. Et tenez-vous prêtes à combattre ! Nous sommes toutes entraînées pour ça !

Plusieurs minutes passèrent qui semblèrent des heures à ces jeunes recrues. Peu d'entre elles avaient déjà réellement combattu, la plupart ayant à peine achevé la formation de base. Comme il y avait généralement plus d'hommes que de femmes mercenaires, les hommes avaient plusieurs baraquements selon leur degré d'apprentissage et leur âge, mais les femmes n'en avait que deux : un pour les apprenties, un pour les mercenaires confirmées.

Liss entendait les respirations haletantes de ses camarades, sentait presque leur peur... Elle aussi avait peur. Mais elle attendait, en surveillant toujours l'extérieur. de temps en temps, elle demandait en murmurant à ses camarades les nouvelles des autres guetteuses, mais elles n'avaient rien de plus à signaler. Jusqu'à ce que...

— Notre baraquement a pris feu à l'étage !

Plusieurs filles se mirent à crier ou sangloter, et les autres les serrèrent contre elles pour les calmer.

Liss soupira et regarda ses condisciples les plus aguerries. Il fallait sortir...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire