mardi 11 janvier 2022

La princesse mercenaire (6)

Trois années passèrent, et la fillette devint rapidement une des meilleures apprenties de son âge, garçons et filles confondues. Le maniement de l'épée n'avait en rien détruit sa beauté, seulement ajouté une musculature bien dessinée, qui semblait avoir été comme sculptée sur ce corps mince et solide. Son caractère méthodique et réservé ne lui avait amené aucun ami ; en dehors des leçons, elle était seule et cela semblait lui convenir. Même les garçons et les jeunes hommes intéressés par cette jolie fille avaient bien vite renoncé devant ses froides rebuffades. Dans le camp, on l'avait surnommée : la Vierge de Glace.


C'était un bel après-midi de printemps. L'été approchait, l'air était doux et le soleil jouait sur les feuilles d'arbres, laissant tomber des ombres légères et mouvantes. Assise sur un banc, devant une table en bois, Lissandra lisait un quelconque ouvrage, son visage inhabituellement détendu. Un jeune homme aux cheveux noirs, attachés en une courte tresse, s'essuya rapidement les mains sur sa tunique, sous le regard goguenard de Nours, son meilleur ami, un jeune géant roux habituellement taciturne mais dont le visage dénotait un certain amusement.

— Allez, Kal, vas-y à la fin, encouragea-t-il d'une voix de basse.

— Mais, Nours... C'est qu'elle a rejeté si froidement tout ceux qui l'ont approché, je...

— Vas-y, je te dis. Tu n'auras probablement pas plus de chance que les autres, mais au moins tu auras essayé et tu pourras passer à autre chose.

Nours donna une bourrade à Kal et celui-ci fit quelques pas involontaires sous la puissance de son ami. Même les adultes regardaient à deux fois sa carrure impressionnante.

— Merci Nours, répondit aigrement Kal.

Le jeune homme lissa une dernière fois sa tunique, se racla la gorge et fit trois pas avant de s'arrêter net : trois autres apprentis mercenaires se dirigeaient vers Lissandra, toujours plongée dans son livre. Leurs visages ne promettaient rien de bon : une certaine convoitise se lisait dans leurs yeux, et le plus petit se lécha inconsciemment les lèvres. C'étaient des nouveaux dans le camp, et leur caractère hostile à toute discipline leur avait déjà valu plusieurs jours de corvées. Ils n'allaient sans doute pas tarder à se faire éjecter par la Capitaine s'ils continuaient ainsi... En attendant, Lissandra se trouvait seule sur son banc, dans cette minuscule clairière entourée d'arbres, et seuls Kal et Nours pouvaient intervenir !

Les deux jeunes gens virent les trois racailles aborder Lissandra et lui parler. Celle-ci, manifestement mécontente d'être interrompue dans sa lecture, leur répondit froidement, ce qui bien sûr ne fut pas de leur goût.

— Bon sang, Nours, viens, il faut l'aider ! s'exclama Kal. On dirait que ça va mal tourner !

Là-bas, le plus petit des trois avait en effet attrapé Lissandra par le bras afin de l'attirer brutalement à lui... Mal lui en avait pris : la jolie blonde avait levé le genou, le remontant violemment entre les jambes de son agresseur trop sûr de lui qui se plia en deux sous la douleur. La suite devint floue aux yeux de Kal et de Nours : Lissandra sembla tourbillonner en portant des coups précis, les deux autres gars se retrouvèrent aux aussi à terre, serrant diverses parties de leurs anatomies et grimaçant de douleur. Elle les regarda, légèrement haletante, puis reprit son livre et partit de l'autre côté de la table, méfiante.

Quand les deux jeunes gens, passablement stupéfaits de l'habileté au corps-à-corps de Lissandra, arrivèrent près d'elle, elle les observa, sur son qui-vive.

— Vous êtes là pour quoi ? les interrogea-t-elle.

— Euh... balbutia Kal.

Il était décontenancé.

— On voulait, euh... t'aider, reprit-il maladroitement, mais bon, tu t'es débrouillée toute seule, alors... euh...

Nours se retint de pouffer de rire, et Kal lui lança un regard noir. Lissandra eut un léger sourire. Le plus petit des agresseurs gémit alors, en se redressant péniblement :

— Putain... Toi, je vais te... Tu nous as eu par surprise, mais là c'est fini pour toi... Même tes potes ne pourront pas t'aider !

Et il sortit une dague de sa botte, imité par ses amis. Kal vint se placer près de Lissandra et se redressa dans une noble attitude, tandis que l'impressionnant Nours se mettait derrière eux, visage fermé, ses bras musculeux croisés sur sa poitrine.

Les trois racailles les regardèrent, échangèrent des regards, puis remirent leurs armes au fourreau avant de s'éloigner en claudiquant légèrement.

— On se reverra, ma jolie ! cracha le petit.

Une fois qu'ils eurent quittés la clairière, Kal se mit à rire. Lissandra le regarda, surprise : ce rire était bien agréable, vivant et jeune.

— Bon, dit Nours, souriant largement, je propose qu'on aille faire un rapport sur l'incident tout à l'heure. Ce n'est pas la première fois que ces trois-là causent problème, en plus...

— D'accord, répondirent Kal et Lissandra.

La jeune fille le regarda, à nouveau surprise : ils avaient répondu en même temps. Kal pouffa.

— Bon, si on faisait les présentations ? Même si tu dois déjà nous connaître un peu, vu qu'on fait partie de la même promotion que toi... Moi c'est Kal, épéiste et lui c'est Nours, qui préfère la hache.

— Je suis Lissandra, répondit cérémonieusement la demoiselle, épéiste aussi.

Kal regarda le titre du livre qu'elle tenait entre les mains.

— "Techniques à l'épée longue", hé, je l'ai lu aussi, s'exclama-t-il, il est super intéressant... Tu en es à quel chapitre ?

Pour une fois qu'un garçon l'abordait sans tenter de la séduire ou de la forcer, elle perdit un peu de sa réserve et la conversation s'engagea entre les trois jeunes gens.


— Alors, demanda Nours, que penses-tu d'elle à présent ?

Kal réfléchit un instant.

— Elle est plus abordable qu'il n'y paraît... répondit-il en souriant. Mais je pense que j'ai tout intérêt à ne pas chercher à être plus qu'un ami pour l'instant !

Et il grimaça comiquement.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire