lundi 20 avril 2020

La princesse mercenaire (3)


Dans sa course éperdue, la jeune fille s'aperçut qu'elle avait machinalement ré-enroulé le parchemin. Elle ouvrit la porte de sa maison à toute volée, en appelant sa mère ; elle l'entendit répondre de la cuisine. Elle se précipita vers la voix tant aimée, et faillit faire tomber la petite femme replète qui s'essuyait les mains dans son tablier.

— Qu'y a-t-il, ma chérie, que tu sois si pressée ? Oooh, ta chemise, mais que...

— C'est... c'est Gacrow ! bégaya la jeune fille, interrompant sa mère et lui montrant le Rouleau Scellé. Il est revenu, il lisait ça aux Archives et... !

Sa mère fronça les sourcils, tendit la main vers le Rouleau et le reconnut. Elle inspira sous l'effet de la surprise :

— Gacrow, dis-tu ? Mais il est parti pour sa tournée d'automne...

— C'est lui qui a déchiré ma chemise ! Il a parlé d'une marque sur mon épaule !

La femme entoura soudain la jeune fille de ses bras et la serra fortement contre elle. Elle lui murmura à l'oreille :

— Va dans le cellier, prend le sac qui se trouve sous la planche descellée sous le sac de farine, tu fileras ensuite par la trappe du fond droit chez l'Archiviste.

— Maman ?

— Va, ma fille, va, fais vite, il y va de ta vie ! Oh, ce Gacrow, mais pourquoi ai-je... Quelle idiote, mais quelle idiote j'ai été toutes ces années ! s'écria la femme en allant son chercher son couteau de cuisine le plus acéré et se postant à la porte.

Abasourdie, la jeune fille allait franchir la porte du cellier lorsqu'elle entendit le cri de sa mère. Tournant la tête, elle vit Gacrow enfoncer un couteau dans le ventre de sa mère et remonter sous les côtes. Le sang gicla sur sa chemise lorsqu'il le retira et il jura avant de s'exclamer :

— J'ai perdu la main, depuis le temps que je joue au bon mari !

La jeune fille vit sa mère s'écrouler au ralenti, la vision floue, et s'avança vers elle. Gacrow l'intercepta :

— Toi, petite garce, je vais te faire payer les coups que tu m'as infligé !

Il lança la main vers l'arrière de sa tête et attrapa une pleine poignée de cheveux blonds ; il la tira vers lui et elle cria de douleur avant d'en recevoir un autre dans le ventre et d'être mise à genoux. Elle tendit la main vers sa mère agonisante et reçut un coup de poing en plein visage ; étourdie, elle tomba à terre, aux côtés de sa mère. Celle-ci avait porté les mains à sa blessure, et le sang coulait à travers les doigts. Aucun son ne sortit de sa bouche lorsqu'elle tenta de murmurer, ou peut-être la jeune fille n'avait-elle plus la force d'entendre...

Lorsque l'homme lui écarta les jambes, arracha ses vêtements et la viola, elle ne réagit pas. Elle regardait sa mère dans les yeux, ignorant le déchirement douloureux entre ses cuisses, les ahans de l'homme, curieusement détachée, attendant simplement que ça se termine.

Les coups de hanches s'accélérèrent soudain, et la jeune fille se raccrocha instinctivement aux carreaux grossier du sol, mais ses doigts gourds peinaient à remuer. Enfin l'homme s'immobilisa, frémissant, exhalant un long soupir. Il s'affala un instant sur elle, puis se releva et se retira de son corps.

— Bon, voilà qui est mieux, dit-il. J'aurais préféré ta vraie mère, c'est sûr, elle au moins était mûre, et à vrai dire ta mère adoptive possède quelques compétences intéressantes elle aussi. Enfin, possédait, devrais-je dire, ricana-t-il. Enfin j'ai achevé la mission d'éliminer la lignée royale de ce royaume des arbres que mon Maître m'a confiée depuis tant d'années ! Il sera content et me reprendra peut-être auprès de lui.

Il rajusta sa ceinture et s'intéressa au foyer dans lequel se trouvaient quelques braises ardentes. Sifflotant, il prit un bâton et fourragea dans les braises de façon à en répandre un peu partout sur le sol, puis enflamma une branche et la passa sur tout ce qui pouvait prendre feu dans la cuisine : la table de bois, la porte du cellier, divers outils de cuisine en bois, un petit sac de farine... Bientôt la fumée dégagée le fit tousser et il entrouvrit la fenêtre, attisant les flammes tout en respirant un peu d'air frais.

— Bon, il est temps que je reparte faire ma tournée d'automne... Je ne reviendrais que pour pleurer le tragique incendie qui m'a fait perdre ma tendre épouse et mes filles chéries en mon absence ! J'imagine que la cadette dors là-haut, vu l'heure qu'il est. Toujours un sommeil de plomb, cette petite, c'est incroyable.

Il s'en alla, non sans donner un dernier coup de pied à la femme agonisante.

Dès qu'il fut partit, la jeune fille tenta de rassembler ses pensées. Tâche impossible, mais il le fallait... Les flammes... Le Rouleau... Où était-il ? Déjà parti en fumée ?

— Maman...

— Ma fille... murmura douloureusement la femme.

— Non, ne parle pas, je t'en prie, je t'en prie, laisse-moi t'aider...

— Chut ! ma fille, écoute ! Fais ce que je t'ai dit, prends le sac, va chez l'Archiviste et raconte-lui tout, écris ton témoignage avec la Plume de Vérité. Lilette est chez sa meilleure amie, qu'elle y reste, je le veux. Et Lisanna, Kissandre, sache que je t'aime comme si je t'avais donné naissance ! Va, maintenant, avant de brûler vive ! Ne laisse pas cet homme gagner...

La femme trouva la force de lever la main et de caresser la joue de la jeune fille, puis mourut.


Morte. De l'intérieur. Plus d'émotions, rien que le vide, la mort. Maman. Ses dernières volontés. La jeune fille se releva, toussa dans la fumée, se remit à quatre pattes et crapahuta jusqu'au cellier. Le Rouleau Scellé est là, tombé à terre. Vite, plus vite. Les flammes. Elle trouva le sac et y mit machinalement le Rouleau, ressortit, tenta de tirer le cadavre par les pieds pour le sortir de là. Trop lourd. Tant pis. Son collier, que son premier époux lui offert à leur mariage, elle devait le prendre à son cou. Pour Lilette, sa petite sœur. Non. La petite sœur de l'enfant morte à sa place et dont on lui avait donné le nom et la vie. Quel concept inepte que la vie... Mais une autre était morte à sa place pour qu'elle puisse vivre, alors elle allait vivre, elle devait vivre et elle ferait payer à ce sale type tout le mal, toute la souffrance qu'il avait infligée en riant. Le collier, le sac, le Rouleau, les flammes, il faut partir. De l'autre côté. S'il est là à guetter, des fois qu'elle sorte... Il est sûrement trop arrogant pour le croire, mais on ne sait jamais, même s'il "a perdu la main". La porte de derrière... De l'air frais ! La vie, la vie, la souffrance mais aussi la vie. Maman va brûler. Lilette ne pourra pleurer que sur des cendres... Chez l'Archiviste.

Elle ne se souvint jamais du trajet, mais parvint jusque chez l'Archiviste sans que personne ne l'aperçoive. Les villageois étaient tous occupés à éteindre l'incendie et elle avait pris un chemin détourné. Ni l'Archiviste ni la plus jeune de ses sœurs, qui vivait avec lui et prenait soin du ménage, n'étaient présents dans leur demeure. La jeune fille entra quand même, passant par la porte de derrière, et alla boire de longues gorgées d'eau avant de se rendre jusqu'à la chambre d'amis et de s'écrouler sur le lit.

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