mardi 28 avril 2020

La princesse mercenaire (4)


Lorsqu'elle se réveilla enfin, la gorge et les bronches douloureuses de la fumée, couverte de suie et brûlée en plusieurs endroits, elle examina son environnement, refusant de laisser la nuit passée se rappeler à son esprit.

La chambre d'amis de l'Archiviste était réservée généralement aux hôtes appréciés ou d'une certaine qualité, aussi était-elle très propre et agréablement décorée de quelques peintures. Des murs clairs, un lit aux draps soigneusement tirés, une fenêtre donnant sur le petit jardin d'agrément derrière la maison, derrière un rideau fin permettant de préserver l'intimité. Un bureau admirablement sculpté, et dessus du parchemin, un encrier, enfin tout le matériel nécessaire pour écrire et dessiner.

La maison était anormalement silencieuse. Quelle heure était-il ? À en juger par la lumière, le jour était levé depuis un moment. Tout doucement, la jeune fille se releva, puis sortit de sa chambre à pas précautionneux. Elle n'avait étonnamment laissé que peu de traces de pas. Elle retourna à la cuisine.

C'était heureux que l'Archiviste l'ait déjà invitée à venir dîner dans sa demeure, et qu'elle ait aidé au repas, car elle savait à peu près où était rangé ce qu'elle cherchait. Elle but à nouveau de l'eau de la cruche, dévora un morceau de pain et de charcuterie, et s'étonna enfin du silence tandis qu'elle nettoyait les miettes. Elle explora la maison, et découvrit qu'elle y était seule. Sans doute l'Archiviste et tout le village s'étaient-ils réunis pour... non, elle refusait d'y penser. Pourtant, il le fallait bien. Gacrow avait dû repartir, pouvait-elle sortir de la maison et chercher les villageois ? Lilette aurait besoin d'elle c'était sûr, et de plus il ne devait y avoir qu'un seul corps dans les ruines de la maison, donc ils se demanderaient sûrement où elle se trouvait. Mais une maison pouvait brûler si fort - elle se souvenait de l'incendie d'une étable quelques années auparavant, même les os des animaux qui n'avaient pu s'échapper étaient réduits à l'état d'esquilles... Alors une maison... Mais, si elle faisait connaître au village qu'elle avait survécu, Gacrow tenterait sûrement de la tuer à nouveau en revenant, non ? Mais, les villageois la protégerait de lui, il lui fallait à tout prix écrire son témoignage. Mais... Les villageois pourraient-ils vraiment la protéger d'un homme tel que lui ?

Rassemblant ses pensées, elle fit le point. Elle était la Princesse Héritière du Royaume des Branches Vertes. Elle avait survécu à deux tentatives d'assassinat - à sa naissance et la veille, à l'âge de treize ans. Le seul ennemi qu'elle se connaissait était ce Gacrow, anciennement garde au château, mais en réalité un assassin, et son mystérieux Maître.

Que devait-elle faire à présent ? Non, que voulait-elle faire ? D'abord, faire payer à Gacrow. Et ensuite ? ... Proclamer son identité réelle et reprendre son trône ? Ce Maître inconnu risquait de lui envoyer d'autres assassins, non ? Et elle était trop jeune pour régner, de toute façon, sans compter un château incendié et en ruine, mais sa mère - sa mère adoptive, rectifia-t-elle aussitôt - l'avait pourtant protégée et élevée dans cet espoir...

Elle prit sa décision. D'abord, survivre, et pour cela laisser croire à tous qu'elle était morte. Ensuite apprendre le combat, au corps à corps, à l'épée, à l'arc, peu importait. Gagner de l'argent au passage si cela était possible. Puis tuer Gacrow et annoncer sa véritable identité. La jeune fille se souvint de ce mercenaire fatigué qui était passé trois jours plus tôt au village, en route vers le lointain camp d'hiver d'une compagnie réputée pour y devenir enseignant. En "empruntant" le cheval le plus rapide du village, peut-être pourrait-elle le rattraper et lui demander si elle pouvait l'accompagner. Elle qui était avide de connaissances, elle avait bien retenu ses leçons de géographie et savait à peu près où se situait le camp d'hiver de la Compagnie des Éclairs et combien de temps faire la route lui prendrait... théoriquement.

La jeune fille alla rapidement se nettoyer dans la confortable salle d'eau de la maison, grimaçant lorsqu'elle savonna et rinça les endroits sensibles - elle ne toucha pas l'entrejambe - puis fouilla le bureau personnel de l'Archiviste jusqu'à trouver la Plume de Vérité. Elle savait comment l'utiliser, il le lui avait expliqué. Elle respira lentement à plusieurs reprises, puis entama le petit rituel très simple nécessaire pour que l'enchantement se mette en route. Se détachant autant qu'elle le pouvait de ses émotions, elle entreprit d'écrire son Témoignage, ne pouvant s'empêcher malgré tout de pleurer sur la fin. Enfin, elle sabla le parchemin pour sécher l'encre, puis le cacha discrètement sous un autre parchemin vierge, par précaution, ne laissant dépasser qu'un petit coin. Elle laissa cependant la Plume en évidence.

Vite, le jour avançait, l'Archiviste ou sa sœur risquaient de revenir à tout instant... Elle voulait que personne ne la voit, seul le vieil homme saurait qu'elle était en vie et uniquement par le biais du Témoignage. Elle retourna dans la chambre d'amis, pris le sac que sa mère - non, mère adoptive - avait caché dans le cellier désormais détruit et examina son contenu. Nourritures de longue conservation, chaussures, couteau, vêtements de rechange et monnaie... La jeune fille fila à la cuisine, ajouta à son sac quelques provisions supplémentaires avant de trouver la chambre de la sœur du vieil homme et de lui emprunter un vêtement. Trop grand, tant pis, ça valait mieux que ces haillons déchirés et brûlés qu'elle portait. Elle alla jeter ceux-ci dans le tas de compost, au potager, s'assura rapidement qu'elle laissait le moins de traces possibles de son passage dans la maison puis se dirigea vers une cachette secrète qu'elle connaissait pas très loin. Jamais elle n'aurait cru que ses jeux d'enfants lui servirait ainsi ! Elle se terra là tout le jour, ne cessant de se demander, à demi somnolente, si elle prenait la bonne décision. Tout lui semblait si irréel... Mais l'odeur de brûlé qui flottait encore dans l'air et les marques sur sa peau se rappelaient sans cesse à elle et les larmes menaçaient de se transformer en sanglots.

La nuit venue, elle se rendit discrètement à l'écurie où se trouvait le cheval qu'elle avait choisi. Elle savait heureusement monter à cheval, sa mère, non, sa mère adoptive, s'en était assurée. Maintenant qu'elle y pensait, celle-ci avait tenu à ce que la jeune fille apprenne beaucoup de choses que peu de petites villageoises apprenaient, profitant de sa soif de savoir, tout en lui rappelant régulièrement de ne pas trop en faire étalage.

Elle prépara le cheval, lui caressant régulièrement les naseaux pour éviter qu'il fasse du bruit, attacha son sac en bonne place puis le sortit doucement de l'écurie, en surveillant les alentours. Il ne manquerait plus qu'on la voit voler un bien si précieux ! Elle enfourcha son cheval, grimaçant lorsque son entrejambe toucha la selle. Elle avait presque oublié... Puis elle mena sa monture au pas, sinuant entre les maisons, passant d'une zone d'ombre à une autre - heureusement que c'était la nouvelle lune, cette nuit, et qu'elle connaissait par cœur son village.

Elle en sortit enfin et passa au trot dès qu'elle fut assez loin sous les arbres, prenant le même chemin que le mercenaire qu'elle espérait rattraper.

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