mercredi 21 novembre 2012

Un jour, le règne des Dragons...

 Le paysage était rocailleux. Tout y paraissait rouge, aussi rouge et rouillé qu'un désert de sang séché. Le soleil, écarlate lui aussi, paraissait l'unique seigneur de ces lieux. Des ondes de chaleur faisaient apparaître et disparaître tour à tour des oasis inexistantes. Cependant la vie n'a pas fui : une petite silhouette dans le lointain ciel d'un bleu dur, guère plus qu'un point au début, devenait de plus en plus visible. Un être vivant, dans ce désert, aurait entendu comme… un battement d'ailes. "Un battement d'ailes ?"

Justement, un peu plus près, en contrebas d'un rocher, se voyait une autre petite silhouette, debout sur ses deux membres, et à côté d'elle se trouve une machine ; en s'approchant, l'on constate qu'il s'agit d'une baliste. Un homme seul dans le désert, avec sa monture attachée à l'abri sous une énorme pierre, et une baliste ? Cet homme semble attendre, attendre quelque chose qui viendrait… du ciel.

Dans le ciel, le point du début est devenu un trait, puis une forme avec… mais oui, des ailes ! Serait-ce un oiseau ? Non, cela semble bien plus gros, malgré le fait que, dans ce désert, n'existe guère de repères pour connaître la taille et la distance. Alors, peut-être est-ce le Roc, cet oiseau légendaire ? Le battement d'aile semblerait le confirmer. Et pourtant… un doute subsiste encore. Un rugissement d'une incomparable puissance retentit longuement sur le désert, faisant trembler les roches. L'homme se redresse alors, et scrute le ciel. A ce hurlement, nul ne peut se méprendre. Un dragon !

Un dragon, dans le ciel du désert ! Qu'y vient-il faire ? Peu de gens l'auront jamais su, seuls les plus clairvoyants se doutent. Un dragon… Cela était devenu rare d'en voir un, et ce depuis… deux générations, peut-être. Depuis la trahison de l'un des leurs, de l'un des plus grands et des plus sages, depuis que leur extermination fut décidée à cause de cela, et que des humains – les humains, dont les dragons s'étaient donnés pour tâche de les veiller et de les protéger – des humains sont devenus des chasseurs, des assassins ; les dragons se cachent.

Celui-ci vole vers son destin.

En bas, l'homme prépare sa baliste : il dispose avec soin le trait, et tends l'arc. Il regarde encore le ciel, et vise soigneusement. Il vérifie l'attache de sa monture, il ne faudrait pas qu'elle s'enfuie : sans elle, le désert lui boirait sans pitié l'eau de ses veines.

Dans le ciel bleu, le dragon s'est rapproché ; il est nettement visible à présent. Pour l'heure, le soleil ruisselle sur ses écailles, et ses ailes frappent l'air avec vigueur. C'est un dragon jeune encore, bien que plus âgé déjà qu'un de ces humains à la si courte vie. Il glisse plus qu'il ne vole dans l'air chaud du désert, il faut le voir pour le croire : tourne et virevolte, sans effort. Il rugit de nouveau, puissamment, indéfiniment.

En bas, sur le sable et les cailloux couleurs de rouille, l'homme hésite : ce dragon mérite-t-il vraiment le sort qu'il lui réserve ? Ce n'est pas lui le traître. L'homme se fige : là-haut, le dragon l'a vu, il se pose avec force au bord d'une falaise. Quelques pierres se détachent et roulent : on dirait des caillots de sang. Le dragon fixe la silhouette fragile ; les yeux de sienne, couleur du sol, plongent dans ceux de l'homme, couleur du ciel.

Soudain, les larges yeux de la splendide créature ailée flamboient : il a compris. Il connaît désormais le visage de son destin. Le dragon ouvre largement ses puissantes ailes, tend son cou, et hurle. Il hurle face à son sort, il exhale sur le désert tremblant toute sa colère, toute sa tristesse, toute sa révolte. Il bat rageusement des ailes, et prend son essor.

L'Homme dégaine son épée.

L'immense et splendide créature replie ses ailes le long de son corps fuselé et bascule dans l'air : il plonge du ciel comme une force de la nature.

L'Homme place son épée sur la corde tendue.

Le Dragon fonce droit vers l'Homme. Dans ses yeux de sienne, la Mort se lit.

La peur dans les yeux, l'Homme attend pourtant sans fléchir : le Dragon pique droit sur lui. Au bon moment, le bras de l'Homme s'abaisse vivement : la corde est tranchée et claque dans le vide brûlant.

Le trait est projeté avec force dans le ciel. Le Dragon a vu le geste, et, désespérément, tente d'infléchir sa course. Mais qui pourrait éviter un sort déjà scellé ? Le sien s'enfonce profondément dans son poitrail et le sang gicle.

Le Dragon hurle de douleur, tournoie, tombe ; il ressemble à une graine d'érable, ces graines à ailes que l'on jette en l'air et qui retombent comme une hélice.

Le Dragon tombe à terre ; sa chute fait trembler le sol et soulève un nuage de poussière rouge. Là-bas, l'Homme a déjà détaché sa monture et l'enfourche.

Le sang du Dragon se mêle à la poussière, leurs couleurs se confondent. Un long soupir gargouillant s'exhale longuement sur le désert. Une dernière fois, la voix basse et profonde passe sur le Monde, et le dernier des Dragons murmure :

"Un jour, le règne des Dragons…" 

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