lundi 10 décembre 2012

Elspeth (2)


 Ce matin-là, au petit déjeuner, je demandais à brûle-pourpoint à ma mère si elle pouvait m’inscrire dans une école privée. Ma mère s’étouffa en avalant ses céréales. J’attendis, anxieuse, les mains crispées sur le rebord de la table et le dos raide.

— A l’école privée ? Mais ça coûte très cher, ma puce ! dit-elle.

Une longue minute s’écoula, tandis que ma mère m’observait en silence, les yeux étrécis.

— Allez, explique-moi tes raisons. Tu as sûrement d’excellents arguments pour me convaincre de te placer dans une de ces écoles pour gosses de riches !

Elle me laissa parler un bon moment sans m’interrompre, et je me sentis rougir. Je voyais son air sceptique, et ma voix se tut.

— Rien d’autre ? demanda-t-elle.

Je hasardais une pointe d'humour :

— Tu sais, le directeur est jeune, assez beau, et il paraît qu’il est célibataire. Peut-être pourrais-tu l’inviter…

Ma mère éclata de rire.

— Toi, si sage, tu me suggères de faire du charme à cet homme pour qu’il t’accepte dans son école guindée ? On aura tout vu ! Ma foi, pourquoi pas, ajouta-t-elle en se calmant brusquement. Mais il reste le problème du prix de l’inscription.

— Il acceptera peut-être de te « faire une ristourne », dis-je en souriant.

Ma mère me retourna le sourire.

— On peut toujours essayer, fit-elle. On dirait que ça te tient à cœur, et nous avons tout à y gagner !

Nous concertant, nous mîmes au point le plan qui allait convaincre le directeur que j’étais la candidate idéale pour son école. J’attendrais son arrivée pour me plonger dans mes devoirs d’un air studieux (comme à l’accoutumée). Ma mère s’habillerait de façon sexy, mais classe : donnant l’illusion d’être une femme active (ce que, somme toute, elle était), sérieuse, travaillant dur pour élever sa fille unique (ce qui est vrai, malgré ce que l'on peut penser : chanter est sa passion, mais pas son gagne-pain).

Elle aura aussi préparé quelques uns de ces cocktails dont elle a le secret et un bon repas (je lui suggérais de faire de la dinde plutôt que ses macaronis habituels), et nous aurons bien sûr nettoyé la maison de fond en comble dès mon retour de l’école publique.

Ensuite… Tout dépendra de ses talents d’actrice.

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