samedi 22 décembre 2012

Elspeth (8)

 La vie est étrange. Il ne se passe rien pendant des années, puis, soudain, tout se précipite et se bouleverse.

Cette conversation avec ma mère fut bien vite reléguée dans un coin de ma tête car de nouvelles préoccupations vinrent occuper le devant de la scène. Je ne m'étais encore jamais intéressée aux garçons – non plus qu'aux filles, de sorte que j'ignorais lesquels m'attiraient le plus. Pour tout dire, je m'en fichais royalement, et peut-être d'autant plus que toutes les filles autour de moi ne cessaient de glousser comme des poules lorsqu'elles parlaient des garçons !

J'étais trop occupée par le travail scolaire et par mes premières leçons de basse avec mes « tontons » du groupe de ma mère... et de mon défunt père. L'un d'eux se débrouillait aussi bien avec une guitare classique qu'avec une basse, et c'était lui qui avait repris la partie de mon père à sa mort. Maintenant, c'était à mon tour, et je commençai à attraper le truc : et puis, j'adorais le toucher des cordes et le son produit. On ne se rend jamais compte de l'importance de la basse dans un morceau que lorsqu'elle disparaît.

Bref, très occupée. Avec le temps, j'avais fini par nouer des relations amicales avec certains des élèves de l'école. Tous n'étaient pas aussi guindés, coincés et méprisants que le quatuor infernal. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous étions amis, j'avais trop l'habitude d'être seule ; mais nous parlions régulièrement ensemble, et pas toujours des cours.

J'avais fini par remarquer qu'un garçon de la classe se retrouvait toujours à la bibliothèque de l'établissement en même temps que moi. Nous avions pris contact, petit à petit, et bientôt nous faisions ensembles nos devoirs, nos recherches... Il me raccompagnait même parfois chez moi le soir, et de temps en temps nous allions nager à la piscine communale. Il me fallut plus de temps pour comprendre pourquoi l'animosité du quatuor infernal à mon égard reprit de la vigueur.

C'était le plus beau garçon du collège, tout simplement ! Et bien sûr, elles étaient diablement jalouses. Résultat, elles étaient elles aussi toujours fourrées à la bibliothèque. Ça m'énervait, leurs regards haineux vers moi et langoureux vers mon ami. Difficile de se concentrer sur les devoirs, même si lui les ignorait avec superbe. J'avais vaguement entendu dire qu'elles avaient formé une sorte de club, réservé aux filles, dont la vocation était d'aduler et de protéger Yannick.

Vraiment stupide.

Un soir, tandis que je rassemblai mes affaires et m'apprêtai à quitter la bibliothèque – Yannick ne s'y trouvait pas, à cause de son entraînement de base-ball – le quatuor infernal me coinça. Éléonore, Mathilda, Nina et Marion m'ordonnèrent – avec chaleur pour une fois, ça changeait – de cesser toute relation avec Yannick. Je fus tentée de leur répondre grossièrement d'aller se faire... voir ailleurs si j'y étais, mais je préférai garder la bouche close.

Et elles continuèrent ainsi pendant cinq bonnes minutes, en m'expliquant pourquoi il me fallait ne plus le voir ni lui parler, en quoi ma regrettable influence et ma fréquentation lui étaient préjudiciables, etc.

Je baillai d'ennui ce qui, je crois, les choqua. Pourtant, j'avais mis la main devant la bouche. Et je leur répondis enfin :

— Bon, donc, vous protégez Yannick.

— Oui ! répondirent-elles en chœur – très synchronisées, il fallait leur rendre cette justice.

— Et il est fort, n'est-ce pas ?

— C'est le plus fort ! — Et le plus beau – Et le plus intelligent – Oui, c'est le plus fort !

Je me mis à sourire.

— Un fort n'a pas besoin d'être protégé, n'est-ce pas ?

— Non, bien sûr que non, c'est évident voyons, Conchita !

Tiens donc, ce vieux surnom revenait ? Je les achevai :

— Puisque Yannick est si fort, il n'a pas besoin de votre protection.

Et je les plantai là. Pauvres filles, les hormones de l'adolescence leur chamboulaient complètement leur pauvre petite tête !


Et une semaine plus tard, Yannick me prit la main et m'embrassa sur la joue. Avant de me regarder d'un regard si bleu et si fondant de tendresse que je bégayai, lamentable.

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