Avec le temps, les choses avaient fini par se tasser. Bon gré mal gré, les autres avaient fini par accepter ma présence et mon niveau scolaire bien supérieur à ma condition d'orpheline sans nom.
Sans nom, oui, car le quatuor infernal avait dû finalement renoncer à me surnommer Conchita et à m'ordonner de nettoyer leurs souliers avec la langue – comme si j'allais y obéir... Un professeur avait assisté à la première fois où elles avaient tenté de me prendre pour leur servante ; elles eurent droit à un sacré savon de la part du directeur en personne... Elles avaient donc dû cesser leurs agaceries, sachant désormais que j'étais sous protection. Et, comme par magie, les brimades anonymes s'espacèrent.
Puis, deux ans plus tard, je fus détrônée – à mon soulagement – de mon rang de petite nouvelle ! Cette fois, c'était un garçon. Le pauvre, il était plutôt laid, assez précoce pour avoir le visage couvert d'acné, asocial et guère aimable, pas excessivement intelligent non plus. La seule fois où je tentai de l'approcher, pour le connaître un peu mieux, il me rembarra sèchement. Il ne voulait personne autour de lui, point.
Je compris plus tard, en écoutant discrètement les autres et les adultes, qu'il avait trop souvent été brimé à l'école à cause de son caractère plutôt particulier et n'avait confiance en personne, ni aucune envie de connaître quiconque. Sa famille ne devait pas non plus s'occuper de futilités telles que le partage avec ses enfants, l'amour et la tendresse. Il n'était qu'un héritier du nom, ses sentiments n'avaient aucun intérêt pour eux.
Et puis, il était issu d'une famille d'arrivistes... Des nouveaux riches ! Insulte aussi grave aux yeux du quatuor infernal que la présence de la bâtarde — ces pestes m'avaient trouvé un nouveau surnom qui me touchait au cœur, et s'arrangeait pour que je sois la seule à l'entendre.
Ce garçon se révéla tellement indifférent aux autres qu'il ne fut pas importuné beaucoup plus longtemps que moi. On le laissa vite tranquille, et on ne se retourna heureusement pas contre moi par dépit. Il n'aurait plus manqué que ça !
Il était vraiment antipathique. Même les professeurs ne l'appréciaient guère. Même moi, je finis par être contaminée par les autres, mais, sans colporter de ragots sur son compte, je l'ignorais soigneusement.
Et un jour que j'avais dû lui parler, je ne sais plus pourquoi, il m'avait demandé si c'était bien moi celle qu'on nommait la bâtarde...
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