J'avais choisi cette école pour sa réputation d'excellence et ses débouchés sur des universités de renom, pas pour sa fréquentation. J'eus la chance que ces élèves pleins de morgue jugent indignes de leur haute condition de s'abaisser à porter la main sur mon ignoble petite personne. Dans une école publique, ordinaire, fréquentée par tout et tout le monde, on m'aurait sûrement coincée dans un endroit tranquille et flanquée une bonne correction...
Ce fut assez dur pour moi au début. Dans mon école précédente, j'avais peu d'amis, en fait plutôt des camarades. Mais ils étaient là, nous partagions nos idées, nos expériences, nos envies, nous nous chamaillions à qui mieux mieux...
Désormais, j'étais seule. Je ne parlais plus de la journée, sauf quand je répondais à la question d'un professeur, sous les regards hostiles ou narquois des autres. Les professeurs s'en rendirent compte, et certains tentèrent bien de discuter avec moi de la situation, mais je me bornais à répondre que c'était mon affaire.
Cette solitude – mes anciens amis avaient cru comprendre de ma décision de changer d'école que je me trouvais trop bien pour eux et m'avaient stupidement abandonnée, à mon grand regret – cette solitude me permit de me plonger à corps perdu dans le travail scolaire.
De fait, j'étais naturellement studieuse et assez intelligente ; première de la classe dans mon ancienne école, je me hissai bien vite aux premiers rangs dans ma nouvelle école. Trop haut, trop vite : les véritables brimades commencèrent — finalement, ils n'étaient aps tellement de la populace par eux tant méprisée. Rien de bien méchant...
On me faisait un croche-pied dans la cohue quand on rentrait en classe. Je ne voyais jamais qui, trop d'élèves autour de moi ! Un jour que j'avais mal refermé mon casier, je retrouvai tout souillé et déchiré, même mes livres. Et bien entendu, mon casse-croûte, préparé par ma mère, avait disparu ; alertée par l'odeur, je le retrouvai dans mon pupitre de classe, quelques jours plus tard, bien moisi déjà...
Je pris l'habitude de tout faire vite et bien. Je vérifiais la fermeture de mon casier. Je ne laissais rien dans mon pupitre. J'attendais d'être à la maison pour faire mes devoirs, passant mes heures d'études à relire mes cours. On me laissait dans mon coin, comme une pestiférée : nul ne s'approchait de moi durant ces heures-là.
A la maison, je pouvais me détendre, et j'en devenais même parfois exubérante. Ma mère ne m'accompagnait plus à l'école, je le lui avais demandé et elle avait très bien compris pourquoi, même si ça la rendait triste, je m'en rendais compte... Alors le soir, dès que je la voyais, je sautais dans ses bras et l'embrassais. Elle me débarrassait de mon sac, allait le poser près de mon bureau tandis que je m'attablais devant le délicieux goûter qu'elle m'avait préparé.
Ma mère était formidable. Contrairement à ce que tant d'autres mères auraient fait, elle ne me dit pas que je l'avais bien cherché à vouloir fréquenter ces « gosses de riches ». Elle ne me dit pas que je ferais mieux de retourner dans mon ancienne école. Elle se comportait avec moi comme si j'étais une grande... Je n'aurais pas supporté qu'elle me traite comme une gamine, ce que j'étais pourtant !
Elle ne me jugeait pas, et me serrait bien fort dans ses bras quand elle sentait que je n'allais pas bien. C'est grâce à ma mère que je dois de n'avoir pas craqué durant la première année que je passai dans cette école.
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